Apparu au début des années 80, le virus responsable du sida (VIH) a entrainé une hécatombe sanitaire jusqu’à l’arrivée des premières trithérapies en 1996. Progressivement, des moyens de lutte sont apparus. Les patients peuvent désormais vivre avec le virus. Mais où en est-on vraiment aujourd’hui ? Un colloque s’est tenu du 29 novembre au 1er décembre 2023 à l’Institut Pasteur pour faire un point d’étape sur le VIH. Cet article revient sur une partie des informations qui y ont été présentées.
Ce dossier a été réalisé avec l'aide de Tania Louis, médiatrice scientifique et conceptrice de contenus pédagogiques, qui a également réalisé une vidéo résumant quelques faits marquants du colloque. |
Le 5 juin 1981, un rapport de surveillance médicale décrit la situation de cinq hommes ayant été hospitalisés à Los Angeles. Tous homosexuels, ils ont été touchés par une infection à cytomégalovirus, des candidoses muqueuses et, surtout, une forme de pneumonie généralement associée à une immunodépression sévère. Il s’agissait des premiers cas identifiés d’une maladie qui, fin 1982, prendrait le nom de sida, syndrome d’immunodéficience acquise. Elle est provoquée par le VIH, virus de l’immunodéficience humaine, identifié à l’Institut Pasteur au début de l’année 1983. 40 ans se sont écoulés depuis, et l’objectif d’éliminer le fléau pandémique qu’est devenu le sida d’ici à 2030 ne parait plus utopique.
Le sida est une maladie provoquée par le VIH, qui se manifeste en général plusieurs années après l’infection. Entre temps, les personnes infectées sont globalement asymptomatiques. Si toutes les personnes ayant le sida sont porteuses du VIH, l’inverse n’est donc pas vrai : il est tout à fait possible d’être porteur de ce virus sans souffrir de la maladie associée. Les traitements actuels permettent d’ailleurs aux personnes infectées par le VIH de contrôler ce virus, sans risque de le transmettre ou de développer le sida.
1981-1996 : une période sombre
Les quinze premières années de la pandémie VIH sont marquées par un paradoxe : des progrès fulgurants dans les laboratoires de recherche mais une situation dramatique dans les hôpitaux. Alors que le récepteur utilisé par le virus était identifié, que son génome était séquencé et que les premiers tests de dépistage étaient mis au point, les personnes infectées restaient diagnostiquées au stade sida, souffrant d’une maladie mortelle qu’on n’avait pas les moyens de contrôler. En 1986, un diagnostic VIH correspondait à une probabilité de décès de 85 % dans les cinq années suivantes.
Chambre à l'hôpital Pasteur après 1983 © Institut Pasteur
La communauté gay a notamment souffert d’une véritable hécatombe. A l’homophobie sont venues s’ajouter l’horreur de voir ses amis mourir, l’angoisse d’être le prochain sur la liste et une nouvelle forme de rejet par une société que le virus terrifiait : la sérophobie. Avant l’invention du terme « sida », cette maladie a notamment été désignée comme la « peste gay », le « cancer gay » ou la « maladie des 4H » (homosexuels, héroïnomanes, hémophiles et haïtiens). De ce contexte terrible est née une énorme combativité, dont sont issues des associations comme AIDES et Act-Up, qui a permis aux personnes concernées par le VIH de devenir partie prenante de la lutte contre ce virus.
Découvrez le discours inspirant du Dr Anthony Fauci à l'Institut Pasteur, pour le 40e anniversaire de la découverte du virus du VIH. En tant que personnalité clé dans la lutte contre le VIH/sida, le Dr Fauci partage son expérience personnelle, évoquant l'évolution de l'épidémie depuis ses débuts jusqu'à nos jours. Ce discours donne une vision unique sur la quête persistante de solutions dans la lutte contre le VIH/sida © Institut Pasteur (en anglais, sous-titres français disponibles).
Découvrez également les souvenirs de Françoise Barré-Sinoussi sur la découverte du VIH et son lien avec les associations de patients.
Les associations de personnes concernées par le VIH ont joué un rôle fondamental dans la lutte contre ce virus. L’Institut Pasteur leur donne la parole :
- Pauline Londeix, ancienne vice-présidente d'Act-Up et co-fondatrice de l'Otmeds. En 1983, aucun traitement n’existe et les personnes infectées par le VIH meurent le plus souvent du sida. Dès 1996, les trithérapies apparaissent dans les pays du Nord, puis deviennent accessibles aux pays du Sud à partir de 2001.
- Florence Thune, directrice générale de Sidaction. Dans les années 80, face à la méconnaissance du virus et de ses modes de transmission, les personnes vivant avec le VIH subissent de nombreuses discriminations. Aujourd’hui, la science et les connaissances ont énormément avancé. Mais les préjugés persistent.
- Jennifer Pasquier, directrice scientifique chez Sidaction. Le VIH, totalement inconnu en 1983, suscite craintes et rejet des personnes infectées. Tandis que les connaissances scientifiques progressent au fil des décennies, les idées reçues sur le VIH perdurent, notamment chez les jeunes.
- Marc Dixneuf, directeur général d’AIDES. Aujourd'hui, les patients séropositifs vivent correctement avec le VIH s’ils sont dépistés à temps et traités. Les traitements ne cessent d’être améliorés, et ces progrès sont notamment dus aux échanges étroits entre personnes porteuses, soignants et chercheurs.
Nous condamnons les tentatives de nous considérer comme des « victimes », un terme qui implique une défaite, et nous ne sommes qu’occasionnellement des « patients », un terme qui implique passivité, impuissance et dépendance du soin des autres. Nous sommes des « personnes vivant avec le sida »
Traduction du premier paragraphe des Principes de Denver, rédigés en 1983 par le Comité consultatif des personnes vivant avec le sida (voir ci-dessous)
En 1987, une première molécule ayant un effet contre le VIH est identifiée et commercialisée. Cette même année apparait le visuel et slogan SILENCE = DEATH, cri d’alarme signalant notamment l’urgence de la situation des personnes concernées par ce virus. Comment accepter la longueur des essais cliniques habituels quand chaque semaine, chaque jour, des personnes meurent ? L’utilisation compassionnelle de traitements à l’efficacité incertaine finit par être autorisée.
En France, le collectif Traitement et Recherche Thérapeutique, regroupant cinq associations d’où le sigle TRT-5, voit le jour en 1992. Outil d’action et d’information au service des personnes concernées par le VIH, il est aujourd’hui encore un partenaire privilégié de l’ANRS-MIE. Enfin, en 1996, des combinaisons de trois molécules ciblant différents composants du VIH sont mises au point. Elles doivent être prises à vie, mais ces trithérapies ont été le premier outil vraiment efficace de lutte contre le sida. Après quinze années terribles, la mortalité recule enfin. Mais la route reste longue.
Le sida induit par le VIH est une maladie mortelle, qu’on sait désormais éviter mais pas guérir. Néanmoins, il y a six cas répertoriés de personnes porteuses du VIH qui ont reçu des greffes de moelle osseuse et sont devenues capables de se passer de traitement antiviral. A défaut de pouvoir démontrer que le virus a réellement disparu de leurs organismes, la prudence amène à parler de « rémission » plutôt que de « guérison ». Que le VIH soit réellement éliminé ou non, cela prouve qu’il est possible de le bloquer.
Proposée à des personnes touchées par des cancers, la procédure de greffe de moelle est beaucoup trop lourde et risquée pour constituer une approche thérapeutique généralisable. Mais, même s’ils représentent moins d’un pourcent des personnes infectées, il existe également des individus capables de contrôler spontanément le VIH en l’absence de tout traitement, les « contrôleurs naturels ». L’étude des mécanismes, notamment immunitaires, impliqués dans ces phénomènes de résistance au VIH permet d’imaginer de nouvelles voies thérapeutiques pour améliorer la situation de toutes les personnes concernées par ce virus.
Traitements et prévention : une lutte de plus en plus efficace contre le VIH
Pour empêcher la transmission d’un virus, une approche consiste à permettre aux personnes déjà infectées de ne plus être contagieuses, une autre à rendre les personnes non infectées résistantes à la contamination. Concernant le VIH, de nombreux progrès ont été faits sur ces deux aspects depuis 1996.
Les traitements antirétroviraux actuels permettent aux personnes vivant avec le VIH de contrôler ce virus et d’avoir une charge virale indétectable, inférieure à 200 copies par millilitre de sang. Plusieurs études (Rakai, HPTN 052, PARTNER 1 et 2, Opposites Attract, Partners PrEP…) ont démontré que ces personnes ne sont alors plus du tout contagieuses. La campagne U=U, en français I = I, pour indétectable = intransmissible, a pour objectif de faire connaître cette avancée majeure. Ainsi, le traitement contre le VIH est désormais considéré comme une forme de prévention, ce que matérialise l’acronyme TasP (treatment as prevention).
D’autres études, notamment l’essai français ANRS Ipergay, ont quant à elles prouvé que la prise de molécules antivirales par des personnes non porteuses du VIH peut empêcher leur contamination par ce virus. C’est le principe de ce qui se nomme désormais la PrEP, pour prophylaxie pré-exposition. Intégrée aux recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé depuis 2015, la PrEP peut être prise en continu ou ponctuellement, juste avant et après une situation à risque. Les données EPI-PHARE montrent qu’en conditions réelles, en France, la PrEP protège à 93 % quand elle est prise avec application.
Par ailleurs, en cas d’exposition au VIH, il est également possible de bénéficier d’un traitement d’urgence, à prendre dans les 48 heures pour tenter d’empêcher l’infection.
Les premières trithérapies ont révolutionné la prise en charge du VIH, mais ces traitements étaient particulièrement pénibles. A l’origine de nombreux effets secondaires, adaptés en fonction des éventuelles résistances virales, ils pouvaient nécessiter de prendre jusqu’à plusieurs dizaines de comprimés chaque jour. Aujourd’hui, en France et dans d’autres pays développés, le VIH peut être traité avec un seul comprimé quotidien, voire des injections tous les deux mois seulement. Les effets secondaires sont également beaucoup moins importants. L’ensemble de ces améliorations rendent ce traitement à vie plus facile à suivre, donc le virus plus facile à contrôler.
Il est aujourd’hui recommandé de traiter les personnes porteuses du VIH dès leur diagnostic. D’une part pour éviter qu’elles ne restent contagieuses, d’autre part parce que les traitements sont d’autant plus efficaces qu’ils sont pris tôt. Mais cela n’a pas toujours été le cas : avant 2015, des critères tels que la situation clinique et le taux de lymphocytes CD4 étaient pris en compte pour décider de la mise en place du traitement.
Comment rendre accessibles les outils de lutte contre le VIH ?
Toutes ces avancées, combinées à une bonne compréhension des mécanismes de transmission et à l’existence de moyens de protection non médicamenteux, comme les préservatifs, pourraient en théorie permettre de mettre fin au VIH. Nous en sommes pourtant encore loin, y compris dans les pays développés : plus de 5 000 personnes ont découvert leur séropositivité en France en 2021, dont près d’un tiers à un stade avancé de l’infection.
Favoriser le transfert des avancées scientifiques à la fois dans les politiques et dans les pratiques de santé est l’objet d’étude des sciences de l’implémentation. Les résultats obtenus dans ce domaine sont fondamentaux : le meilleur traitement reste inutile s’il n’est ni distribué efficacement, ni accepté par les personnes concernées.
La situation de la PrEP en France illustre qu’il ne suffit pas qu’un dispositif soit disponible pour qu’il soit utilisé. Depuis début 2016, la PrEP est accessible sur prescription médicale, intégralement remboursée, et directement récupérable sans avancer de frais dans les centres gratuits d'information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD). Pourtant, parmi les personnes ayant appris leur séropositivité entre avril 2019 et novembre 2020, 91 % étaient éligibles à la PrEP mais seulement 11 % l’avaient utilisée. 75 % des personnes connaissaient pourtant le dispositif, mais toutes n’y ont pas eu recours pour différentes raisons : peur des effets secondaires, absence de sentiment de risque vis-à-vis du VIH, non proposition de la PrEP, ignorance des façons d’y accéder, ou découverte de leur propre séropositivité en voulant commencer à prendre la PrEP arrivent en tête des motifs de non-utilisation.
Pour qu’une approche préventive soit réellement adoptée, il faut qu’elle soit connue et simple à mettre en œuvre. La commission européenne a récemment donné une autorisation de mise sur le marché à une PrEP par injection tous les deux mois. L’essai clinique CaboPrEP, qui testera son efficacité en France, doit démarrer début 2024.
S’adapter aux situations locales pour lutter efficacement contre le VIH
La lutte contre le VIH est compliquée par le fait que cette pandémie cache une grande diversité de situations, qui ne peuvent pas être approchées de la même manière. Les souches virales en circulation, les maladies opportunistes associées à l’affaiblissement du système immunitaire, le profil génétique des personnes touchées, les populations les plus exposées au virus, les conditions de vie et les outils médicaux disponibles varient d’un endroit à l’autre. Il est donc nécessaire de s’adapter aux situations locales. Cela concerne la recherche, les essais cliniques étant majoritairement réalisés en Europe ou aux Etats-Unis alors que les trois quarts des personnes vivant avec le VIH se trouvent en Afrique ou en Asie du Sud-Est, mais aussi l’implémentation, pour proposer des solutions adaptées à chaque personne concernée.
Par exemple, alors que les femmes ne représentent que 30 % des nouvelles contaminations par le VIH aujourd’hui en France, à l’échelle mondiale, 53 % des personnes vivant avec le VIH sont des femmes. Celles âgées de 15 à 25 sont notamment touchées de façon disproportionnée dans les régions où ce virus circule le plus activement. Le profil des communautés à risque au sein desquelles la PrEP aurait un effet protecteur important est ainsi très différent en France, où la PrEP concerne quasi-exclusivement des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, et en Afrique, où des projets comme le partenariat DREAMS s’adressent aux adolescentes et jeunes femmes. Cela conduit à choisir des approches différentes : la PrEP prend la forme de cachets à avaler en France alors que des anneaux vaginaux à action longue durée sont recommandés en Afrique.
Les femmes sont plus sujettes que les hommes aux maladies auto-immunes et présentent des réponses plus fortes à la vaccination. De façon générale, le sexe biologique et les stéréotypes sociaux genrés (comme les habitudes alimentaires, les pratiques sportives ou la consommation de tabac) influencent le fonctionnement du système immunitaire, et cela a des conséquences en cas d’infection par le VIH. Les femmes touchées par ce virus ont une réponse immunitaire plus forte que les hommes, contrôlent mieux le virus dans la phase aigüe de l’infection et le réservoir viral lorsqu’elles sont traitées, mais développent plus rapidement un sida en l’absence de traitement.
Cela s’explique en partie par la localisation de plusieurs gènes régulant la réponse immunitaire sur le chromosome X. Présent en deux exemplaires chez les femmes contre un seul chez les hommes, une copie de ce chromosome est inactivée dans les cellules féminines, mais certains gènes échappent à ce processus et sont malgré tout surexprimés chez les femmes. L’activation immunitaire plus importante chez les femmes a également une composante hormonale, la testostérone ayant un effet inhibiteur et les œstrogènes un effet activateur.
La transmission du VIH-1 de cellule à cellule. Lymphocyte infecté par le VIH-1 (en pseudo-couleur jaune) en contact avec des lymphocytes non infectés (en bleu et rose). Les particules virales sont en jaune clair. Photo en microscopie électronique à balayage © Institut Pasteur/Olivier Schwartz, unité Virus et Immunité - Plate-forme de microscopie ultrastructurale - Colorisation Jean-Marc Panaud.
Les populations vulnérables doivent accéder aux outils existants
Les inégalités sont également un enjeu majeur dans la lutte contre le VIH, et des progrès restent à faire dans ce domaine. Dans de nombreux pays, y compris développés, les populations les plus touchées par le VIH sont déjà marginalisées par ailleurs (en raison de leurs orientation et pratiques sexuelles, leur genre, leur origine ethnique, leur consommation de drogue, leur profession, leur statut migratoire…). La lutte contre le VIH passe nécessairement par un combat intersectionnel contre les discriminations et par l’implication des communautés concernées. Or, si certaines sont engagées depuis le début de la pandémie, d’autres demeurent éloignées des systèmes de soin. En France, alors que le nombre de contaminations parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes nés en France baisse depuis le lancement de la PrEP en 2016, ce n’est pas le cas pour ceux nés à l’étranger.
À ces inégalités entre les populations s’ajoutent des inégalités économiques à plus large échelle. De nettes améliorations dans ce domaine ont eu lieu au début des années 2000, avec la distribution de traitements génériques moins coûteux et la mise en place de financements solidaires comme le Fonds mondial et le PEPFAR, à destination des pays aux moyens limités. Ainsi, malgré les contraintes logistiques et le manque de moyens locaux qui compliquent la gestion de la pandémie VIH là où elle est la plus forte, la recherche et le soin se développent en Afrique. Si l’accès aux traitements reste compliqué dans de nombreuses régions, en 2022, seuls cinq pays dans le monde avaient atteint le triple objectif fixé pour 2030 de 95 % de porteurs du VIH dépistés, 95 % de dépistés sous traitement et 95 % de personnes traitées contrôlant leur charge virale : le Botswana, l’Eswatini, le Rwanda, la Tanzanie et le Zimbabwe. Tous situés en Afrique subsaharienne.
La forte association entre le VIH et des communautés déjà stigmatisées par ailleurs pose un énorme problème partout dans le monde : elle constitue un frein au dépistage, pour au moins trois raisons. D’une part car certaines personnes à risque n’osent pas se faire tester de peur d’être associées à une communauté mal considérée à l’endroit où ils vivent. D’autre part car les personnes déjà éloignées du milieu médical ne connaissent pas forcément leurs droits et ne savent pas toujours comment se faire tester si elles en ont besoin. Enfin, parce les personnes ne faisant pas partie de ces communautés considérées comme associées au VIH ne se sentent pas concernées par le virus et ne pensent ni à se protéger, ni à se dépister, alors qu’elles le devraient. Par exemple, aujourd’hui, en France, la moitié des personnes contaminées le sont à la suite de rapports hétérosexuels.
Le dépistage est un levier essentiel de la lutte contre le VIH, sur le plan individuel mais aussi collectif. Il permet en effet la mise en place aussi rapide que possible des traitements, ce qui améliore la situation des personnes porteuses du virus et leur évite de le transmettre. En France, il est possible de se faire dépister gratuitement et sans rendez-vous dans n’importe quel centre d’analyse médicale, ou d’acheter un autotest diagnostic en pharmacie. Pourtant, on estime que 24 000 personnes vivant dans ce pays ignorent leur séropositivité.
Il faut dire que les personnes vivant avec le VIH subissent encore d’importantes discriminations, ce qui constitue un frein supplémentaire au dépistage. Preuve qu’un travail de pédagogie reste à faire, 29 % des parents considèrent les personnes séropositives comme dangereuses pour les enfants et 17 % des actifs seraient mal à l’aise de savoir qu’un de leurs collègues est séropositif.
Diversité génétique du VIH et réservoir viral : deux obstacles encore à surmonter
Les tests de dépistage, les traitements permettant de contrôler le virus, et la prévention, y compris via les prophylaxies pré-exposition, constituent d’ores et déjà un arsenal puissant de lutte contre le VIH, dont les apports des sciences de l’implémentation permettent d’améliorer l’efficacité. Les inégalités d’accès et les stigmatisations constituent néanmoins deux obstacles qui semblent toujours difficiles à surmonter. Auxquels s’ajoutent deux défis que la recherche n’a pas encore su relever : quarante ans après la découverte du VIH, il n’existe toujours ni vaccin contre ce virus, ni traitement permettant de vraiment en guérir.
Les essais vaccinaux se heurtent en effet à l’énorme diversité génétique du VIH. Chez certains patients, elle est comparable à celle de la grippe à l’échelle mondiale ! Cela pose également des problèmes pour les traitements : les mutations du virus augmentent le risque qu’il développe des résistances dès qu’une opportunité de se multiplier lui est laissée. Or, le VIH est un champion de l’esquive qui s’installe au sein même de l’ADN des cellules infectées, formant ce que l’on appelle des réservoirs, des cellules porteuses du virus dissimulées dans l’organisme. En cas d’absence ou d’interruption de traitement, elles servent de point de départ au VIH pour reprendre sa prolifération. Ce sont ces cellules réservoirs qui empêchent de guérir le VIH, et elles font l’objet de nombreuses recherches. Deux stratégies principales sont utilisées pour tenter de les contrecarrer : les pousser à exprimer le virus qu’elles contiennent pour les identifier et les détruire (approche « shock and kill ») ou les verrouiller définitivement pour qu’elles ne puissent plus produire de virus (approche « block and lock »). Un essai clinique est actuellement dans ses premières phases à partir d’une troisième stratégie, consistant à utiliser les ciseaux moléculaires CRISPR pour extraire le génome viral des cellules du réservoir et tenter d’éliminer le virus de l’organisme.
Après avoir reçu un traitement antiviral, certaines personnes porteuses du VIH deviennent capables de maîtriser ce virus. Elles peuvent alors interrompre leur thérapie sans rebond viral, pour certaines depuis plus de vingt ans. Ces rémissions fonctionnelles confirment la pertinence des stratégies « block and lock » pour lutter contre les cellules réservoirs.
Des contrôleurs post-traitement sont notamment suivis via la cohorte VISCONTI. La prise précoce des antiviraux, dès les premières semaines suivant la contamination, est un élément clé de cette forme de rémission. Des études comme les essais RHIVIERA sont en cours pour mieux comprendre les différents facteurs à l’origine du phénomène de contrôle post-traitement.
De nouvelles approches thérapeutiques grâce à la recherche fondamentale
De composition variable selon les situations, les trithérapies actuelles combinent des inhibiteurs de différentes étapes du cycle de prolifération du VIH : inhibiteurs de la transcriptase inverse, de la protéase, de l’intégrase ou de la fusion permettant au virus d’entrer dans les cellules. Mais différents progrès de la recherche fondamentale ont récemment fait émerger de nouvelles approches thérapeutiques.
Ainsi, les cellules immunitaires Natural Killer (dites NK) sont naturellement capables de contrôler l’infection chez certains singes mais pas chez les humains. Actives dans les ganglions, les stimuler pourrait contribuer à limiter les réservoirs viraux qui s’y établissent, et cette piste d’immunothérapie est notamment étudiée à l’Institut Pasteur.
Également issus du système immunitaire, les anticorps neutralisants à large spectre, ou bNAbs, sont particulièrement prometteurs. Ces protéines reconnaissent une grande diversité de variants du VIH et sont produites par de rares patients, spontanément capables de contrôler le virus après infection. Elles font l’objet de nombreux travaux de recherche car elles sont à la fois capables de bloquer l’infection, d’activer le système immunitaire, de conduire à la destruction des particules virales et de permettre l’élimination des cellules infectées. Elles semblent notamment réduire le réservoir viral, et constituent même une nouvelle piste vaccinale : induire la production de bNAbs par la vaccination pourrait annuler l’avantage conféré au VIH par sa grande diversité génétique. Enfin, le lénacapavir, un inhibiteur de la capside du VIH, a très récemment fait la preuve de son efficacité. Cette protéine virale n’ayant pas été ciblée jusqu’ici, ce nouveau venu dans l’arsenal thérapeutique est particulièrement utile en cas d’apparition de résistances aux anciens traitements. Il présente un autre avantage indéniable : il est efficace à long terme et, avec une dose adaptée, une injection tous les six mois pourrait suffire.
Tania Louis, médiatrice scientifique et conceptrice contenus pédagogiques, résume dans cette video l'implication des personnes vivant avec le vih, la situation en France aujourd'hui et des découvertes récentes ©Tania Louis
La mise au point de composés actifs à long terme est aujourd’hui une priorité, qu’il s’agisse de traitements ou de prophylaxies pré-exposition. En effet, proposer des alternatives aux cachets à prendre quotidiennement diminuerait la stigmatisation, éviterait les oublis et rendrait le suivi plus accessible aux populations éloignées des soins. Plusieurs pistes sont à l’étude : le lénacapavir, le cabotégravir, l’ibalizumab, l’islatravir, le MK-8527…
Néanmoins, pour chaque nouveau composé, des essais cliniques sont nécessaires pour identifier les schémas d’administration efficaces. Et les paramètres à prendre en compte sont nombreux : dosage, combinaison avec d’autres molécules, délai entre les prises, apparition de résistances… Il faut également rester vigilants à deux limitations. A l’heure actuelle, les essais impliquent des personnes contrôlant déjà le VIH grâce à leurs précédents traitements. L’efficacité des interventions longue durée devra aussi être évaluée chez des personnes nouvellement diagnostiquées. Enfin, les composés actifs plusieurs semaines sont globalement administrés par des injections réalisées en contexte médical, ce qui diminue leur accessibilité. La mise au point de comprimés oraux longue durée serait une avancée significative.
La qualité de vie des personnes porteuses du VIH doit encore être améliorée
Si les traitements disponibles permettent d’ores et déjà de garder le VIH sous contrôle, des nouveautés sont espérées pour améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec ce virus. Les composés actifs à long terme, espaçant les prises dans le temps, sont un levier d’amélioration important, contribuant à diminuer la charge mentale et la stigmatisation tout en facilitant l’adhésion aux traitements, y compris pour les populations marginalisées. Continuer à réduire les effets secondaires liés aux thérapies reste évidemment essentiel. Mais les nombreuses comorbidités associées au VIH et aux antiviraux ne doivent pas être négligées, y compris celles liées au fait de vieillir avec ce virus et celles qui concernent la santé mentale. En effet, vivre avec le VIH est un facteur de risque psychosocial, aggravé par les discriminations, y compris celles subies dans des contextes médicaux, et les personnes concernées par ce virus sont plus sujettes à la dépression que la population générale.
Pour mieux répondre aux besoins des personnes vivant avec le VIH, l’idéal reste d’écouter ce qu’elles ont à dire. C’est notamment l’objet des enquêtes VESPA, dont la troisième occurrence est en cours en France. Les objectifs chiffrés de lutte contre le sida sont aujourd’hui fixés en termes de dépistage, de traitement et de contrôle de la charge virale. L’idée d’ajouter un objectif concernant la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH est parfois défendue pour inciter à améliorer la situation.
L’espérance de vie des personnes porteuses du VIH est aujourd’hui comparable à celle de la population générale, et il est devenu possible de vieillir avec ce virus. Si bien qu’on estime qu’un quart des personnes vivant avec le VIH ont aujourd’hui 50 ans ou plus. Néanmoins, leur espérance de vie en bonne santé est réduite, avec une apparition plus précoce des comorbidités liées au vieillissement.
Il est nécessaire de mieux accompagner ces personnes, en adaptant le suivi VIH en fonction de l’âge, en améliorant la détection et la prévention des pathologies qui peuvent être évitées, mais aussi en continuant à lutter contre la stigmatisation. La recherche fondamentale est également indispensable pour développer des traitements et prises en charge correspondant aux besoins des personnes de plus en plus âgées qui vivent avec le VIH.
Rendre accessibles tous ces progrès et les adapter aux besoins de chacune et chacun
40 ans après la découverte du VIH, notre compréhension de ce virus continue à progresser. La mise au point des premiers traitements a permis de transformer ce qui était une sentence mortelle en maladie chronique et, aujourd’hui, il est possible de vivre avec le VIH mais sans sida. Malgré l’absence de vaccin, la prophylaxie pré-exposition a considérablement amélioré l’arsenal préventif à notre disposition. Et, qu’il s’agisse de traitement ou de prévention, l’arrivée de nouvelles approches et de molécules à action longue durée est riche de promesses, si bien que l’objectif de l’élimination du sida pour 2030 parait accessible.
Mais pour l’atteindre, il faudra que les outils existants soient disponibles et adaptés aux besoins de chacune des personnes concernées par le VIH. C’est-à-dire à l’ensemble de l’humanité dans toute sa diversité : les personnes porteuses du virus pour se soigner et éviter de le transmettre, les personnes non porteuses pour éviter de l’attraper, et chacun et chacune d’entre nous pour lutter contre les différentes discriminations qui alimentent la pandémie et les souffrances. Cela nécessitera des efforts collectifs, coordonnés et importants, y compris sur les plans financiers et logistiques, ainsi que la prise en compte des travaux menés en sciences humaines et sociales, notamment dans le domaine de l’implémentation. Le défi est de taille.