Grâce à un traitement précoce et rigoureux, certains patients dits « contrôleurs » deviennent capables de maintenir en eux une charge virale suffisamment basse pour ne pas être atteint du sida. Des cas inspirants pour la recherche, sans compter les très rares patients ayant déjà complètement guéri du VIH.
Cet article est le quatrième de la série consacrée aux espoirs de la recherche sur le VIH-sida, à l’occasion de la célébration des 40 ans de l’identification du virus. |
Le patient de DüsseldorfAprès le patient de Berlin en 2009 et celui de Londres en 2019, le consortium IciStem, dont fait partie l’équipe d’Asier Sáez-Cirión à l’Institut Pasteur, présente un nouveau cas de probable guérison du VIH suite à une greffe de moelle osseuse issue d’un donneur portant la mutation génétique CCR5 delta-32, connue pour protéger naturellement du VIH. Cet homme, suivi à Düsseldorf, a reçu une greffe de cellules souches pour traiter une leucémie, puis a interrompu son traitement antirétroviral contre le VIH de manière supervisée. Quatre ans plus tard, plus aucun virus du VIH n’est détectable dans son organisme. |
Une résistance à toutes épreuves due à des mutations
« Mes tout premiers travaux à l’Institut Pasteur, il y a maintenant vingt ans, concernaient des personnes fréquemment exposées au VIH (des travailleurs.ses du sexe ou des usagers de drogues ayant des conduites à risques) mais qui n’étaient jamais contaminées, se souvient Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur. Cela nous a permis d’identifier certaines mutations qui rendaient les cellules immunitaires résistantes à l’infection. » En effet, certaines personnes sont naturellement résistantes au VIH grâce à des mutations, la plus connue d’entre elles étant la mutation delta-32 qui altère le corécepteur de surface CCR5 des lymphocytes CD4 ou des macrophages, et empêche le virus d’y pénétrer (mutation présente chez environ 1 % de la population).
C’est également grâce à cette mutation que certaines personnes séronégatives ayant développé une leucémie ont pu « guérir du VIH » après avoir reçu une greffe de moelle osseuse. Et pour cause, les cellules du donneur de moelle qui sont venues remplacer celles du receveur étaient porteuses de la fameuse mutation CCR5 delta-32, et ont donc permis au receveur de devenir résistant au virus. Aujourd’hui, on compte cinq patients greffés en rémission : le patient de Berlin (en rémission du VIH depuis plus de 10 ans au moment de son décès suite à une rechute de sa leucémie), celui de Londres, celui de Düsseldorf, et deux autres qui n’ont pas encore fait l’objet de publications. Des exemples inspirants qui ne doivent pas faire oublier qu’il s’agit là de cas très particuliers. « Ce sont des interventions lourdes, avec un risque important de mortalité, qui ne sont pas transposables aux 40 millions de personnes vivant avec le VIH », complète Asier Sáez-Cirión.
Guérison VS RémissionOn parle de rémission lorsque l’infection par le VIH est contrôlée en absence du traitement antirétroviral, mais qu’il peut rester quelques cellules infectées susceptibles de se réactiver. On parle de guérison lorsque toutes les cellules infectées de l’organisme ont été éliminées, ce qui reste aujourd’hui impossible à prouver formellement (toutes les cellules du système immunitaires ne pouvant être analysées !). |
Des lymphocytes CD8 remarquables à l’assaut du VIH
C’est ainsi que l’équipe d’Asier Sáez-Cirión s’intéresse à un autre groupe de personnes : les « contrôleurs naturels ». Ces personnes ne sont pas résistantes au virus mais, comme leur nom l’indique, sont capables de contrôler spontanément la réplication virale et de maintenir la charge virale à un niveau très bas, voire indétectable, en l’absence de trithérapie. Chez ces individus, qui représentent moins de 0,5 % des personnes vivant avec le VIH, on sait aujourd’hui que les lymphocytes CD4 sont un peu moins sensibles à l’infection par le VIH. Des travaux récents de Lisa Chakrabarti, de l’unité Virus et immunité à l’Institut Pasteur, suggèrent que, chez de rares « contrôleurs naturels », cette robustesse face à l’infection s’explique par des mutations qui diminuent l’expression de CCR5 au niveau de la membrane des cellules T CD4 et qui limitent l’entrée du VIH. Dans d’autres cas, c’est la grande sensibilité des cellules T CD4 des contrôleurs dans la détection des antigènes du VIH qui permet une réponse antivirale accrue. Ces cellules T CD4 très sensibles sécrètent une forte quantité de chimiokines qui induisent une internalisation du récepteur CCR5, ce qui, là encore, rend les cellules moins infectables par le VIH.
Parallèlement, les cellules lymphocytes CD8 semblent jouer un rôle central dans le contrôle du VIH en l’absence de traitement. « Grâce à nos travaux menés sur les cohortes CODEX et PRIMO, on sait désormais que les cellules CD8 des « contrôleurs naturels » ont une capacité accrue à reconnaître et à éliminer les cellules infectées, grâce à une mémoire et une activité cytotoxique bien meilleures que la moyenne », explique Asier. Après avoir identifié le profil moléculaire très spécifique de ces cellules, les scientifiques ont alors essayé de reprogrammer les cellules CD8 des non-contrôleurs pour qu’elles acquièrent les caractéristiques des cellules CD8 des contrôleurs. Cette reprogrammation, réalisée in vitro avec succès en 2022, est aujourd’hui testée chez un modèle animal du sida. « L’objectif à terme est d’utiliser cette stratégie dans le cadre d’une thérapie cellulaire pour obtenir une rémission de l’infection par le VIH. Cela consisterait à isoler les cellules de personnes non-contrôleuses, les reprogrammer ex vivo puis les réinjecter, avant une éventuelle interruption du traitement, commente Asier Sáez-Cirión. Nous explorons aussi la possibilité de modifier directement ces cellules CD8 in vivo grâce à des immunothérapies ».
De l’importance d’un traitement précoce
D’autres pistes sont ainsi explorées en parallèle, chez un dernier groupe de personnes : les « contrôleurs post-traitement ». Ces individus, regroupés au sein de la cohorte VISCONTI, arrivent à contrôler l’infection virale pendant des années, voire des décennies, après l’arrêt du traitement, atteignant un état de rémission durable de l’infection par le VIH. Leur point commun ? Tous (ou presque) ont commencé leur traitement antirétroviral très tôt, dans les premières semaines qui ont suivi l’infection. C’est ainsi que l’équipe d’Asier Sáez-Cirión a décidé d’étudier, chez le macaque, l’impact d’un traitement précoce sur le contrôle du virus. « On a observé que le traitement précoce, entre autres effets bénéfiques, permet aux cellules CD8 de prendre les caractéristiques mémoires des cellules CD8 des « contrôleurs naturels », et augmente leur potentiel antirétroviral après interruption du traitement de façon très impressionnante, s’enthousiasme le chercheur. Une preuve supplémentaire que l’on est sur la bonne voie en étudiant les cellules CD8 mémoire ».
La cohorte VISCONTI fête ses dix ansDécrite en 2013, la cohorte VISCONTI (pour Viro-Immunological Sustained CONtrol after Treatment Interruption) regroupe 30 personnes qui, pour la plupart, ont bénéficié d’un traitement antirétroviral précoce et ont été capables, lors de l’interruption de leur traitement, de contrôler leur virémie pendant plus de 20 ans dans certains cas. L’étude VISCONTI a ainsi apporté la preuve de concept d’un état de rémission possible et durable de l’infection des personnes vivant avec le VIH-1. Il s’agit de la plus grande cohorte du monde de « contrôleurs post-traitement » à long terme. |
Fort de ces résultats encourageants, un essai clinique (RHIVIERA02) va débuter en 2023, dans le cadre du programme ANRS RHIVIERA mené avec l’AP-HP et en collaboration avec l’équipe d’Hugo Mouquet, chez un groupe de 70 individus dépistés de manière précoce. « On va leur proposer un traitement antirétroviral classique mais aussi une immunothérapie qui couple deux anticorps neutralisants à large spectre. Ces derniers devraient aider à diminuer la quantité des particules virales en circulation, aider les cellules NK à éliminer les cellules infectées et donc à diminuer le réservoir, et enfin booster leurs cellules CD8 et leurs anticorps anti-VIH », décrit Asier. Et après un an de traitement, celui-ci sera arrêté. « On pense que les participants auront un meilleur contrôle du virus après l’arrêt du traitement et deviendront peut-être des « contrôleurs post-traitement, espère Asier Sáez-Cirión. Cela représente un espoir de rémission à long terme pour les personnes vivant avec le VIH, sachant que le traitement précoce a, quoiqu’il arrive, un intérêt épidémiologique en évitant la transmission du virus. »
Et les découvertes ne s’arrêtent pas là. Les Pasteuriens ont en effet mis en évidence un autre point commun fréquent chez les « contrôleurs post-traitement » de la cohorte VISCONTI : une empreinte immunogénétique liée à la présence de cellules NK particulières. Là aussi, un essai clinique (RHIVIERA01) va se mettre en place en 2023 avec le programme RHIVIERA. Environ 70 personnes issues de la cohorte PRIMO, qui ont commencé un traitement pendant la primo-infection et sont porteuses de cette empreinte immunogénétique spécifique, vont interrompre leur traitement pour évaluer leur capacité à contrôler la virémie. « Si le résultat se confirme, ce sera la première fois que l’on aura un marqueur prédictif des chances de rémission de l’infection par le VIH, souligne Asier Sáez-Cirión. Cela confirmera aussi l’importance du rôle des cellules NK et nous orientera vers de nouvelles pistes d’immunothérapie. »