En 1983, le VIH (le virus du sida) est isolé par des virologues de l’Institut Pasteur. À cette époque, face à la méconnaissance du virus et de ses modes de transmission, les personnes vivant avec le VIH subissent de nombreuses discriminations. Aujourd’hui, la science et les connaissances ont fait de grandes avancées. Mais malgré tout, comme le rappelle Florence Thune, directrice générale de l’association Sidaction, les préjugés persistent encore.
Cette interview est la deuxième d’une série consacrée aux témoignages de représentants d’associations de patients, à l’occasion de la célébration des 40 ans de l’identification du virus. |
Le sida génère encore des peurs irrationnelles, et les personnes vivant avec le VIH continuent à subir des discriminations quotidiennes, à faire face à du rejet et à de l’incompréhension.
Florence ThuneDirectrice générale de Sidaction
Qu’est-ce qui a changé, en 40 ans, pour les personnes vivant avec le VIH ?
Florence Thune : Ce qui a changé ? C’est que les personnes vivant avec le VIH sont en vie. Il y a 40 ans, les personnes mourraient du sida car il n’y avait pas de traitement. Aujourd’hui, les personnes qui ont accès aux traitements ne meurent plus du sida mais vieillissent avec le VIH. Et ça, c’est un changement incroyable, même si vieillir avec le VIH entraîne parfois des complications.
En revanche, ce qui n’a pas changé, ce sont les discriminations. Elles étaient très nombreuses au début, au moment où l’on ne connaissait pas les modes de transmission du virus, mais elles persistent aujourd’hui, alors que les connaissances ont incroyablement progressé. Le sida génère encore des peurs irrationnelles, et les personnes vivant avec le VIH continuent à subir des discriminations quotidiennes, à faire face à du rejet et à de l’incompréhension.
Quelles découvertes scientifiques ont été déterminantes ?
F. T. : Ce qui a évidemment changé le quotidien des personnes, c’est l’arrivée des trithérapies en 1996. Mais c’est aussi le travail de recherche fondamentale qui a permis, en amont, d’arriver à ces traitements.
Très vite, on s’est rendu compte, grâce aux traitements, que les femmes enceintes porteuses du virus pouvaient donner naissance à des enfants séronégatifs. Donc dès les premières années, on a vu un effet préventif de ces traitements.
Et puis quelques années plus tard, on s’est rendu compte que ces mêmes traitements permettaient non seulement aux personnes de rester en bonne santé mais aussi de ne pas transmettre le virus. Ça a été une vraie révolution.
Vous avez apporté un badge. Quelle est son histoire ?
F. T. : J’ai ramené ce badge – où est inscrit « Bye bye stigma, Hello gorgeous » (Au revoir la stigmatisation, salut beauté !) – de la conférence internationale sur le sida de Durban (Afrique du Sud), en 2016. Lors de cet évènement, il y avait des femmes sud-africaines vivant avec le VIH qui étaient incroyablement belles, fortes et dynamiques, qui étaient l’incarnation même de la lutte contre la stigmatisation (que j’ai moi-même envie de voir disparaître en tant que personne vivant avec le VIH) et qui rappelaient que nous pouvions être fières de notre corps.
J’ai toujours ce badge dans mon bureau pour me rappeler à quel point le VIH a pu abîmer les corps, et parfois empêcher, par la honte, de se sentir belle et désirable. Ce badge raconte cette histoire.
Quel message voulez-vous adresser aux chercheurs, à la société ?
F. T. : Il y a deux messages. Le premier, pour les chercheurs : de les encourager à poursuivre leurs recherches pour atteindre la rémission. Il y a eu énormément de progrès concernant les traitements, mais on rêve parfois de se débarrasser complétement du virus – parfois je rêve de redevenir séronégative. Et le second, pour le grand public : de rappeler qu’il ne faut pas avoir peur des personnes séropositives, qu’il faut continuer à se protéger du VIH mais ne pas avoir peur des personnes vivant avec le VIH. On aime les gens, on est amoureux, et c’est important de le rappeler.