Dans le cadre de travaux pionniers, une équipe pluridisciplinaire de chercheurs du laboratoire Miguel C. Rubino du ministère de l’Agriculture, de l’élevage et de la pêche (MGAP), de l’Institut national de recherche agricole (INIA) et de l’Université de la République (Udelar) uruguayens, ainsi que de l’Institut Pasteur de Montevideo et de l’Institut Pasteur (Paris), a identifié, pour la première fois, les souches pathogènes de la bactérie Leptospira qui circulent en Uruguay et infectent les populations animale et humaine.
Cette bactérie est responsable de la leptospirose (lire la fiche maladie Leptospirose de l’Institut Pasteur), une maladie infectieuse à fort impact économique dans le secteur de l’élevage et facilement transmissible à l’Homme, notamment aux agriculteurs, aux employés d’abattoirs et aux vétérinaires. Les sujets sont infectés par de l’eau préalablement contaminée par l’urine d’animaux porteurs de la bactérie, comme des rats, des bovins, des chevaux, des moutons, des porcs ou des chiens. Or, l’Uruguay a pour principale source de revenu l’exportation de viande de bœuf et de produits laitiers.
Les différentes souches de la bactérie fluctuant dans leur pathogénicité et leur transmission inter-espèce, il était important d’identifier les variants de Leptospira qui touchent les troupeaux d’Uruguay. D’où la création d’un consortium multicentrique impliquant l’Institut Pasteur de Montevideo, l’Udelar, l’INIA et le laboratoire vétérinaire du MGAP.
Cette équipe pluridisciplinaire a ainsi effectué des prélèvements d’urine et de sang sur 963 bovins dans 48 exploitations bovines et laitières du pays. Elle a, par ailleurs, collecté l’urine et récupéré les reins de 577 animaux issus de 22 abattoirs. Une analyse a été réalisée sur chaque échantillon afin de déceler la présence de Leptospira et, le cas échéant, d’en identifier la souche exacte.
Les chercheurs ont découvert que 20 % des bovins testés excrétaient des leptospires pathogènes dans leur urine, ce qui représente un risque majeur de santé publique. Une quarantaine de souches distinctes de la bactérie ont été isolées, révélant une variabilité insoupçonnée. Les analyses ont mis au jour trois isolats rares non détectés via les tests normaux et deux sérotypes de la bactérie correspondant parfaitement à ceux précédemment isolés sur des patients atteints de leptospirose.
« Ce rapport sur les souches locales de Leptospira améliorera les outils diagnostiques et la compréhension de l’épidémiologie de la leptospirose en Amérique du Sud », déclare Alejandro Buschiazzo, de l’IP de Montevideo, et auteur correspondant de l’article. « Ces souches pourraient également être utilisées comme nouveaux composants de vaccins bactériens contre les souches de Leptospira pathogènes en circulation et ainsi contribuer directement à la réduction du risque de leptospirose chez l’Homme. »
Un projet rassemblant d’éminentes ressources humaines
Le projet multicentrique visait à créer une banque de souches de Leptospira isolées de bovins infectés en Uruguay. Les institutions impliquées ont mis à profit leurs capacités complémentaires, du prélèvement des échantillons sur les bovins (des élevages et des abattoirs) à l’identification des souches bactériennes pathogènes en passant par leur isolement microbiologique.
L’unité Biologie des spirochètes (Mathieu Picardeau) de l’Institut Pasteur de Paris a ainsi travaillé en étroite collaboration avec le Laboratoire de microbiologie moléculaire et structurale (Alejandro Buschiazzo) de l’Institut Pasteur de Montevideo dans le cadre d’une unité mixte internationale appelée IMiZA (microbiologie intégrative des agents zoonotiques). Pour leur étude publiée dans PLoS Neglected Tropical Diseases, l’unité Biologie des spirochètes a apporté son expertise en identification et typage des souches de Leptospira et formé le personnel de Montevideo. Cette coopération a abouti à l’analyse, toujours en cours, de séquences génomiques complètes de souches animales et humaines, qui fournira des informations utiles aux fins de la formulation de vaccins plus efficaces.
La première phase du projet consistait à isoler et typer les souches, ainsi qu’à développer les techniques moléculaires nécessaires. L’équipe a, par conséquent, créé une banque bactérienne contenant déjà plus de 60 souches. Amorçant la deuxième phase du projet, le consortium va à présent chercher à consolider les informations épidémiologiques au niveau national et poursuivra avec la mise au point de vaccins plus spécifiques.
Cette expérience commune a permis la formation, en Uruguay, d’éminentes ressources humaines, qui ont acquis des compétences en maladies infectieuses des grands animaux, en microbiologie, en biologie moléculaire et en immunologie en vue du développement de vaccins.
L’Agence nationale pour la recherche et l’innovation (ANII) a joué un rôle fondamental dans ce projet en en finançant la majeure partie, une contribution complétée par les apports de l’INIA et d’entreprises en lien avec le secteur de la santé animale (Virbac Uruguay SA, Prondil et Microsules Laboratories).
La leptospirose : une maladie à ne pas négliger
Zoonose parmi les plus répandues au monde, la leptospirose est une maladie animale et humaine causée par les espèces pathogènes du genre Leptospira.
Chez les bovins, l’infection aiguë des veaux provoque une septicémie (lire la fiche maladie Septicémie de l’Institut Pasteur) associée à une mortalité élevée. Les vaches, quant à elles, peuvent subir des avortements, mettre bas des veaux chétifs et souffrir de mammites et d’agalactie (diminution ou absence de lait dans les mamelles après le vêlage). Une infection chronique réduit également la capacité de reproduction du troupeau et augmente l’intervalle entre les naissances.
L’Homme peut contracter la maladie dans un environnement contaminé ou par contact direct avec l’urine d’animaux infectés, les premiers signes cliniques pouvant être sévères. Bien que la leptospirose réponde bien au traitement antibiotique, elle peut être mortelle si elle n’est pas correctement diagnostiquée et soignée.
La guérison des animaux et des personnes malades passe par l’administration d’antibiotiques. Malgré l’existence de vaccins préventifs contre la leptospirose des animaux, protégeant indirectement l’Homme, le diagnostic de la maladie et la formulation de vaccins efficaces à partir de bactéries inactivées restent compliqués en raison de la multitude de souches due à la variabilité antigénique du genre Leptospira.
Pour être performants, les vaccins doivent inclure les variants des souches circulant dans la région d’intérêt, le recours à des souches différentes n’offrant pas de protection adéquate.
Source
Isolation of pathogenic Leptospira strains from naturally infected cattle in Uruguay reveals high serovar diversity, and uncovers a relevant risk for human leptospirosis, PLOS Neglected Tropical Diseases, 13 septembre 2018.
Leticia Zarantonelli 1,2*, Alejandra Suanes 3*, Paulina Meny 4*, Florencia Buroni 5*, Cecilia Nieves 1**, Ximena Salaberry 3**, Carolina Briano 6**, Natalia Ashfield 4, Caroline Da Silva Silveira 7, Fernando Dutra 6, Cristina Easton 3, Martin Fraga 7, Federico Giannitti 7, Camila Hamond 2,7, Melissa Macias-Rioseco 7, Clara MeneÂndez 4, Alberto Mortola 3, Mathieu Picardeau 8,9, Jair Quintero 4, Cristina Rios 4, Victor Rodriguez 5, Agustin Romero 6, Gustavo Varela 4, Rodolfo Rivero 5*, Felipe Schelotto 4*, Franklin Riet-Correa 7*, Alejandro Buschiazzo 1,9,10*, on behalf of the Grupo de Trabajo Interinstitucional de Leptospirosis Consortium
1. Laboratorio de Microbiologia Molecular y Estructural, Institut Pasteur de Montevideo, Montevideo, Uruguay
2. Unidad Mixta UMPI, Institut Pasteur de Montevideo + Instituto Nacional de Investigacion Agropecuaria INIA, Montevideo, Uruguay
3. Departamento de Bacteriologia, Division Laboratorios Veterinarios "Miguel C. Rubino" Sede Central, Ministerio de Ganaderia, Agricultura y Pesca, Montevideo, Uruguay
4. Departamento de Bacteriologia y Virologia, Instituto de Higiene, Facultad de Medicina, Universidad de la Republica, Montevideo, Uruguay
5. Division Laboratorios Veterinarios "Miguel C. Rubino" Laboratorio Regional Noroeste, Ministerio de Ganaderia, Agricultura y Pesca, Paysandu, Uruguay
6. Division Laboratorios Veterinarios "Miguel C. Rubino" Laboratorio Regional Este, Ministerio de Ganaderia, Agricultura y Pesca, Treinta y Tres, Uruguay
7. Instituto Nacional de Investigacion Agropecuaria INIA, Estacion Experimental La Estanzuela, Colonia, Uruguay
8. Unité de Biologie des Spirochètes, Institut Pasteur, Paris, France,
9. Joint International Unit "Integrative Microbiology of Zoonotic Agents" IMiZA, Institut Pasteur de Montevideo, Montevideo, Uruguay / Institut Pasteur, Paris, France
10. Département de Microbiologie, Institut Pasteur, Paris, France
* These authors contributed equally to this work.
** These authors also contributed equally to this work