Causes
Le virus chikungunya est un arbovirus (virus transmis par les arthropodes) dont les vecteurs sont des moustiques femelles du genre Aedes qui sont identifiables grâce à la présence de rayures noires et blanches. Les deux espèces incriminées sont Aedes aegypti et Aedes albopictus. Aedes albopictus est présent dans le sud de la France et Aedes aegypti dans les départements ultramarins (Antilles, Guyane), la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie. Ces deux moustiques sont également impliqués dans la transmission d’autres arbovirus, notamment la dengue, la fièvre jaune et le virus Zika.
Symptômes
Une infection fortement invalidante
En langue Makondée, chikungunya signifie « qui marche courbé en avant », et évoque la posture adoptée par les malades en raison d'intenses douleurs articulaires.
L’infection à virus chikungunya entraine en effet, après un délai d’incubation de 2 à 10 jours, des atteintes articulaires, souvent très invalidantes, concernant principalement les petites ceintures articulaires (poignets, doigts, chevilles, pieds) mais aussi les genoux et plus rarement, les hanches ou les épaules. A cette atteinte articulaire s’associent fréquemment des maux de tête, accompagnés de fièvre, des douleurs musculaires importantes, une éruption cutanée au niveau du tronc et des membres, une inflammation d’un ou plusieurs ganglion(s) lymphatiques cervicaux ou encore une conjonctivite.
Des saignements des gencives ou du nez ont en outre été fréquemment décrits, principalement en Asie.
Alors que les formes sévères de chikungunya n’étaient qu’exceptionnellement décrites dans les zones historiques d’endémie (Afrique, Asie), l’épidémie de 2005 survenue sur l’Ile de La Réunion a permis de montrer l’existence de formes neurologiques graves, notamment des méningo-encéphalites et des atteintes des nerfs périphériques. Ces dernières sont principalement rencontrées chez des personnes âgées, ou au système immunitaire affaibli, et chez des nouveau-nés, infectés in utero lors de l'infection de la mère.
Rémission et séquelles
Habituellement, la rémission des symptômes cliniques est assez rapide avec la disparition en quelques jours de la fièvre et des manifestations cutanées mais les signes articulaires peuvent perdurer sur plusieurs semaines. Il ne semble pas que l’infection par le virus chikungunya soit la cause directe des quelques cas mortels rapportés lors des épidémies.
L’atteinte articulaire peut durer sur un mode subaigu ou chronique pendant plusieurs mois voire plusieurs années, et ceci d’autant plus fréquemment que l’âge du malade est avancé : selon une étude rétrospective sud-africaine, elle concernerait 10% des patients 3 à 5 ans après une infection aiguë au virus chikungunya.
Epidémiologie
La première épidémie due au virus chikungunya a été décrite sur le continent africain, en Tanzanie en 1952. L’infection par le virus chikungunya a depuis continué à évoluer sur un mode endémo-épidémique sur les continents africain et asiatique, en particulier en Inde depuis 2006 (environ 2 millions de cas avérés et suspects) et dans l’Océan Indien. En 2007, le chikungunya a également fait sont apparition en Europe, touchant plusieurs centaines de personnes durant le mois de septembre dans le Nord-Est de l’Italie. En 2010, les deux premiers cas autochtones de chikungunya ont été recensés en France, dans le Var. En 2011, la Nouvelle-Calédonie est touchée, en décembre 2013 une épidémie se déclare dans les Antilles, à Saint-Martin ; elle va se propager dans le reste de la Caraïbe puis sur le continent américain. Enfin, la Polynésie française est atteinte en 2014.
Europe
Aujourd’hui, l’hypothèse d’une dissémination du virus du chikungunya n’est pas à exclure dans les régions tempérées d’Europe où le moustique vecteur Aedes albopictus - dit le moustique tigre - est établi, notamment en Italie et dans le sud de la France. En septembre 2007, une flambée épidémique est survenue en Italie, dans la région de Ravenne (Nord-Est), touchant environ 300 personnes. Elle aurait été introduite par un voyageur en provenance d’Inde. Les deux premiers cas autochtones de chikungunya en France ont été détectés en 2010 dans le Var puis en octobre 2014, 12 autres cas autochtones ont été observés à Montpellier. En 2017, 17 autres cas de chikungunya ont été recensés dans la région PACA. Le risque que la dengue et le chikungunya se propagent en Europe du Sud est donc surveillé par les autorités de santé. En conséquence, l’infection à chikungunya a été ajoutée à la liste des maladies à déclaration obligatoire et depuis janvier 2006, un dispositif de surveillance renforcée a été mis en place.
Afrique et Asie
L’aire de distribution du virus du chikungunya s’étend à toute l’Afrique sub-saharienne et à l’Asie du Sud-Est. En Afrique, le virus est maintenu au sein d’un cycle forestier faisant intervenir des primates et des moustiques sylvatiques (Aedes luteocephalus, Aedes furcifer ou Aedes taylori). En Asie, où son introduction serait plus récente, le virus circule dans un cycle essentiellement urbain qui implique les moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus.
Depuis sa description initiale en Tanzanie, le virus chikungunya a été régulièrement à l’origine de petites poussées épidémiques cycliques en milieu rural, principalement en Afrique australe et de l’Est, de l’Ouganda à l’Afrique du Sud et en Afrique Centrale. Sur ce continent, la dernière épidémie importante est survenue en 2007 au Gabon, avec 5000 cas suspectés. Le virus chikungunya est plus rarement trouvé en Afrique de l’Ouest, en particulier au Sénégal. Il est considéré comme endémique en milieu rural en Afrique, où il est probablement responsable de nombreux cas non diagnostiqués.
Parallèlement, des poussées épidémiques ont été observées en Inde, au Sri Lanka, en Asie Sud-Est (Thaïlande, Myanmar, Vietnam, Laos, Cambodge, Indonésie, plus récemment Malaisie) et aux Philippines. Quelques cas sporadiques ont été signalés à Singapour en 2009. Une importante vague épidémique frappe l’Inde depuis janvier 2006 avec quelque deux millions de cas suspectés enregistrés à ce jour. La fréquence plus importante des épidémies en Asie peut être reliée au caractère anthropophile des moustiques vecteurs en cause.
Océan Indien
Dans l’Océan Indien, aucune activité du virus chikungunya n’avait été détectée avant le début de l’année 2005. Le virus, vraisemblablement originaire d’Afrique de l’Est, a provoqué une première épidémie aux Comores. La transmission du virus a probablement été assurée par le moustique Aedes aegypti qui est prédominant dans cet archipel.
En mars 2005, l’épidémie s’est propagée rapidement dans l’île de La Réunion à partir du Nord-Ouest, avec une flambée importante entre fin avril et début juin puis une persistance de la transmission virale durant l’hiver austral. Sur cette île, la transmission du virus est assurée principalement par le moustique Aedes albopictus qui s’y est répandu grâce à sa grande plasticité écologique puisqu’il colonise indifféremment les zones urbaines et selvatiques, les gîtes artificiels et naturels. Au total, environ 270 000 personnes auraient été infectées, pour une population totale de 750 000 habitants. En parallèle, dès fin mars 2005, les îles Seychelles, Maurice et Mayotte ont été également touchées par l’épidémie de virus chikungunya, avec une augmentation des cas dès janvier 2006. Madagascar a également connu une circulation active du virus. Au printemps 2010, le chikungunya a à nouveau fait parler de lui sur l’Ile de La Réunion, avec une vingtaine de cas confirmés.
Amérique
Deux cas d’importation en provenance de Madagascar ont été identifiés en Guyane française en mars 2006, soulignant le risque d’émergence du virus dans les territoires français des Amériques. En décembre 2013, l’épidémie s’est déclarée aux Antilles, à Saint-Martin, et a rapidement progressé. La Martinique et la Guadeloupe ont été très impactées et l’épidémie s’est ensuite propagée dans toute la Caraïbe pour finalement atteindre pour la première fois le continent américain et là aussi être à l’origine d’une forte épidémie.
Traitement et prévention
La prise en charge médicale est purement symptomatique, reposant sur des traitements anti-douleurs et anti-inflammatoires. Ces traitements n’ont cependant aucun effet préventif sur la survenue d’une évolution chronique. Une corticothérapie peut s’avérer nécessaire dans les formes sévères d’évolution subaiguë – chronique.
La prévention de cette infection est à la fois collective et individuelle, reposant sur la lutte anti-vectorielle. A l’échelle individuelle, il s’agit de limiter sa propre exposition au moustique vecteur, en portant des vêtements longs, en s’appliquant des répulsifs cutanés, et en utilisant des insecticides sur les vêtements et les moustiquaires. Collectivement, une lutte anti-vectorielle à large échelle consiste en des épandages précautionneux d’insecticides et une élimination des gîtes larvaires potentiels, particulièrement autour des habitations (pots de fleur, récipients divers, pneus usagés, déchets encombrants, etc.).

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A l’Institut Pasteur
La riposte de l’Institut Pasteur face au chikungunya, dès le début de l’épidémie en 2005, illustre les capacités de mobilisation et la réactivité des chercheurs. L’Institut Pasteur à Paris a lancé un vaste programme de recherches sur le virus chikungunya qui a impliqué une douzaine d’équipes coordonnées par Félix Rey, alors directeur du département de virologie. En un temps record, des tests de diagnostic ont notamment été mis au point, l’histoire évolutive du virus retracée, les génomes de plusieurs souches virales séquencés, et l’origine de l’épidémie identifiée. Les scientifiques ont aussi mis au point un modèle animal de la maladie, élaboré un candidat-vaccin et identifié des cellules humaines cibles du virus et des gènes capables de contrôler l’infection. D’autres études ont également permis l’identification des facteurs de virulence du virus, et de comprendre l’aptitude du moustique Aedes albopictus à transmettre le virus.
Aujourd’hui, plusieurs équipes se consacrent toujours à l’étude de la maladie.
L’unité Environnement et Risques Infectieux a poursuivi le projet KerArbo, notamment en développant un modèle de suivi de l’infection par les Alphavirus RossRiver et Chikungunya par imagerie intravitale avec des virus comportant des gènes rapporteurs. Cette étude a permis de suivre l’infection jusqu’à son passage à la chronicité et suggère que le virus pourrait subsister localement dans les cellules articulaires. Cette approche innovante ouvre la voie à l’évaluation de nouvelles stratégies thérapeutiques ou vaccinales.
Un candidat-vaccin contre le virus chikungunya a été élaboré par l'unité de Génomique virale et vaccination, dirigée par Frédéric Tangy. Il s’agit d’un vecteur dérivé du vaccin contre la rougeole exprimant trois antigènes du virus chikungunya. Un essai clinique de phase I réalisé en 2014 a permis de démontrer l’innocuité et l’immunogénicité du candidat vaccin chez l’homme1. Un essai clinique de phase II a ensuite été réalisé par la société Themis qui a confirmé à plus grande échelle l’innocuité et l’immunogénicité du candidat vaccin, malgré la présence de préimmunité contre la rougeole chez tous les volontaires2. Ce vaccin devrait maintenant être introduit dans un essai clinique d’efficacité de phase III.
Anna-Bella Failloux et son unité Arbovirus et insectes vecteurs étudient l’aptitude des moustiques à transmettre le virus responsable du chikungunya à l’homme. Depuis le début de l’épidémie de 2005, l’équipe a obtenu des résultats qui permettent de mieux comprendre l’ampleur de la flambée. L’équipe a notamment déterminé que le temps nécessaire au virus pour parcourir le chemin entre l’infection avec la prise du virus chez un malade et sa présence dans les glandes salivaires du moustique prêt à être libéré avec la salive de moustique est très court, environ deux jours. Ce résultat est à la base de l’élaboration de stratégies de lutte contre le moustique tigre. Ce groupe a également démontré que le moustique tigre pouvait être infecté en même temps par le virus du chikungunya et le virus de la dengue et transmettre ces deux virus simultanément lors d’une piqûre.
Récemment, plusieurs équipes de l’Institut Pasteur, coordonnées par Antoine Gessain, se sont associées au sein du programme Transversal de Recherche DEVA. Ce dernier a permis de développer sur le campus de l’Institut Pasteur à Paris un outil de diagnostic moléculaire pour les virus chikungunya, de la dengue et du West Nile. Il s’agit d’une puce à ADN qui permet d’effectuer le diagnostic de l’infection virale aiguë à partir d’un liquide biologique comme le sang ou le sérum. Cette puce est aussi capable de caractériser le génome du ou des virus présent(s) dans l’échantillon biologique infecté.
1 Ramsauer et al., Lancet Inf. Dis. 2015
2 Reisinger et al., Lancet 2018
Juillet 2021
Les équipes de l’Institut Pasteur mobilisées sur le Chikungunya
Unité Environnement et risques infectieux dirigée par Jean-Claude Manuguerra
Unité Arbovirus et insectes vecteurs dirigée par Anna-Bella Failloux
Unité populations Virales et Pathogènes dirigér par Marco Vignuzzi
Unité Biologie des infections dirigée par Marc Lecuit
Unité Populations virales et pathogénèse firigée par Marco Vignuzzi
Génomique Evolutive des virus à ARN dirigée par Etienne Simon-Lorière