Une étude récente publiée par l’université du Michigan, avec pour premier auteur Matthieu Domenech de Cellès, de l’Institut Pasteur, montre que la résurgence de la coqueluche n’est pas causée par des évolutions récentes dans l’épidémiologie ou la biologie de la bactérie, mais par plusieurs facteurs inscrits dans la durée, comme le renouvellement naturel de la population, une couverture vaccinale incomplète et un lent déclin de la protection conférée par des vaccins, certes imparfaits, mais très efficaces.
Les chercheurs et représentants de la santé publique peinent à expliquer la résurgence de la coqueluche aux États-Unis depuis la fin des années 1970, blâmant souvent les présumées faiblesses de l’actuelle génération de vaccins acellulaires. « Paradoxalement, la coqueluche a réapparu aux États-Unis et dans plusieurs autres pays à haut revenu qui avaient pourtant maintenu une couverture vaccinale élevée. Ces observations inattendues ont soulevé plusieurs hypothèses, mais l’attention s’est progressivement portée sur les défauts de la nouvelle génération de vaccins anticoquelucheux acellulaires », déclare Matthieu Domenech de Cellès, premier auteur de l’article.
La nouvelle étude conclut, elle, que la résurgence de cette maladie respiratoire très contagieuse résulte de différents facteurs —collectivement désignés sous le terme de « lune de miel »— dont l’origine remonte au milieu du siècle dernier, c’est-à-dire bien avant l’introduction des vaccins acellulaires à la fin des années 1990.
Selon Aaron King, chercheur en mathématiques appliquées et en écologie des maladies infectieuses à l’université du Michigan, et ses collègues de l’Institut Pasteur, de l’université de Géorgie et de l’université Queen’s, cette résurgence s’explique, en effet, davantage par un renouvellement naturel de la population, une couverture vaccinale incomplète et un déclin lent de la protection conférée par un vaccin certes imparfait, mais très efficace. La coqueluche peut être mortelle pour les nourrissons. « Cette résurgence est la conséquence prévisible du déploiement d’un vaccin efficace, mais imparfait et d’une couverture vaccinale élevée, mais incomplète », indique Aaron King, professeur dans les départements d’Écologie et biologie de l’évolution et de mathématiques de l’université du Michigan.
Les conclusions de l’équipe ont été publiées le 28 mars dans Science Translational Medicine. Le premier auteur de l’article, Matthieu Domenech de Cellès, ancien chercheur post-doctoral sous la supervision d’Aaron King à l’université du Michigan, est maintenant membre de l’unité de Pharmacoépidémiologie et maladies infectieuses de l’Institut Pasteur à Paris.
« Nos résultats sont importants car ils montrent que les tendances récentes de la coqueluche ne sont pas nécessairement la conséquence de changements récents dans son épidémiologie ou sa biologie », souligne Matthieu Domenech de Cellès, qui emploie des méthodes biostatistiques et biomathématiques dans ses travaux épidémiologiques. « Au contraire, l’épidémiologie contemporaine de la coqueluche peut être interprétée comme un héritage de pratiques d’immunisation anciennes », ajoute-t-il. « Ce changement important de perspective fait de la coqueluche un sujet d’étude complexe mais passionnant. »
Les chercheurs ont utilisé des modèles de transmission de la maladie et des méthodes statistiques pour extraire l’information issue de 16 années de données sur l’incidence de la coqueluche en fonction de l’âge dans l’état du Massachusetts. Les auteurs proposent que leurs résultats pourraient s’appliquer à l’ensemble des États-Unis et à l’Europe de l’Ouest. Selon l’étude, l’introduction du premier vaccin anticoquelucheux à la fin des années 1940 a déclenché une série d’événements qui ont abouti à ce que les épidémiologistes appellent une « lune de miel », c’est-à-dire une période d’incidence très faible consécutive à la mise en place d’un programme de vaccination. D’après les chercheurs, la résurgence de la coqueluche ces dernières décennies marque la fin de cette période de « lune de miel ».
Durant l’ère pré-vaccinale, la coqueluche était une maladie infantile très courante aux États-Unis. La plupart des enfants étaient exposés à Bordetella pertussis, l’agent étiologique de la coqueluche, et développaient une réponse immunitaire forte, qui leur conférait une immunité durable. Ces infections naturellement acquises protégeaient donc la plupart des Américains adultes contre la coqueluche.
La vaccination systématique à l’aide d’un vaccin anticoquelucheux à germes entiers a rapidement divisé l’incidence par 100, marquant le début de la période de « lune de miel ». Deux facteurs ont ainsi contribué à faire reculer nettement la coqueluche : la protection vaccinale des enfants et l’immunité naturellement acquise par les adultes durant l’ère pré-vaccinale.
Mais en raison du vieillissement de la population au cours du temps, le nombre d’Américains adultes ayant contracté la coqueluche pendant l’enfance a progressivement diminué. En parallèle, le nombre de jeunes adultes non immunisés par le vaccin ou par l’infection naturelle a augmenté. Cette diminution de l’immunité au niveau de la population a ouvert la voie à la résurgence de la coqueluche.
Le modèle mathématique ayant le mieux reproduit les données d’incidence du Massachusetts entre 1990 et 2005 explique ainsi la résurgence actuelle « comme l’héritage d’une vaccination incomplète à l’aide de vaccins efficaces, mais imparfaits, dans un contexte de renouvellement démographique lent, c’est-à-dire un effet de fin de lune de miel », écrivent les auteurs. L’étude de modélisation appuie également l’idée que la protection par le vaccin anticoquelucheux décline au cours du temps, même si elle dure bien plus longtemps que ne le pensent de nombreux experts.
Certains détracteurs du vaccin anticoquelucheux acellulaire actuel affirment que son effet disparaît au bout de cinq à sept ans. Mais la nouvelle étude « suggère que les vaccins anticoquelucheux actuels protègent 55 % des personnes à vie et 90 % de la population pendant plus de dix ans », insiste le co-auteur de l’étude Pejman Rohani, écologue des populations à l’Odum School of Ecology de l'université de Géorgie.
« Par ailleurs, nos modèles expliquent que les variations d’incidence de la coqueluche précédemment attribuées à un déclin rapide de la protection vaccinale s’expliquent en fait par des taux de contacts plus élevés lorsque les enfants entrent à l’école », poursuit Pejman Rohani.
D’après les chercheurs, bien que le vaccin actuel réduise efficacement la circulation de la coqueluche dans la population, la vaccination systématique des nourrissons seule ne suffira jamais à éradiquer la bactérie.
Chez les nourrissons, la coqueluche provoque de violentes quintes de toux suffocantes et peut entraîner des complications mortelles. Les personnes infectées transmettent généralement la maladie en toussant ou en éternuant à proximité de personnes en contact. Les parents, frères er sœurs, et personnels soignants peuvent contaminer les bébés sans se rendre compte qu’ils sont infectés. D’après l’étude, les enfants des classes élémentaires et les adolescents sont les principaux propagateurs de la maladie. Des simulations numériques ont permis de prédire qu’un effort de rappel vaccinal ciblant les 5-10 ans et les 10-20 ans pourrrait entraîner une baisse d’environ 25 % des cas de coqueluche chez les nourrissons. « La majorité des transmissions intervient dans ces tranches d’âge », souligne Aaron King. « Nous devons donc nous assurer que les enfants sont vaccinés avant leur entrée à l’école pour que la lutte contre la coqueluche soit la plus efficace possible. »
Le Center for Disease Control and prevention (CDC) américain recommande cinq injections vaccinales anticoquelucheuses pour les enfants de moins de 7 ans. Des injections supplémentaires sont conseillées pour les enfants plus âgés et certains adultes.
La coqueluche est responsable de 195 000 décès de nourrissons par an dans le monde, principalement dans les régions à bas revenu. D’après le CDC, 17 972 cas de coqueluche ont été recensés en 2016 aux États-Unis, dont six décès chez des nourrissons.
En France, la vaccination est recommandée pour les enfants à partir de deux mois/huit semaines. Le calendrier de primovaccination prévoit deux injections à 2 et 4 mois, suivies d’un rappel à 11 mois. D’autres rappels sont conseillés à 6 ans, 11-13 ans et 25 ans, ainsi que pour les personnes en contact régulier avec des nouveau-nés (stratégie du cocooning). Le vaccin anticoquelucheux est associé aux vaccins contre le tétanos, la diphtérie, la poliomyélite, Haemophilus b et parfois l’hépatite B. Les versions adaptées à l’adolescent et à l’adulte sont des vaccins combinés protégeant également contre le tétanos, la diphtérie et la poliomyélite.
Source
The impact of past vaccination coverage and immunity on pertussis resurgence, Sci Transl Med., 28 mars 2018.
Domenech de Cellès M1,2, Magpantay FMG3,4, King AA3,5,6, Rohani P7,8,9.
1. Department of Ecology and Evolutionary Biology, University of Michigan, Ann Arbor, MI 48109, USA.
2. Biostatistics, Biomathematics, Pharmacoepidemiology, and Infectious Diseases Unit, Institut Pasteur, Inserm U1181, University of Versailles St-Quentin-en-Yvelines, Versailles, France.
3. Department of Mathematics and Statistics, Queen’s University, Kingston, Ontario K7L 3N6, Canada.
4. Department of Mathematics, University of Michigan, Ann Arbor, MI 48109, USA.
5. Center for the Study of Complex Systems, University of Michigan, Ann Arbor, MI 48109, USA.
6. Odum School of Ecology, University of Georgia, Athens, GA 30602, USA.
7. Department of Infectious Diseases, University of Georgia, Athens, GA 30602, USA.
8. Center for the Ecology of Infectious Diseases, University of Georgia, Athens, GA 30602, USA.
*Corresponding author. Email: matthieu.domenech-de-celles@pasteur.fr
† These authors contributed equally to this work.
L’article publié dans Science Translational Medicine a été rédigé par Matthieu Domenech de Cellès, Aaron King, Pejman Rohani et Felicia M.G. Magpantay, ancienne chercheuse post-doctorante à l’université du Michigan, travaillant aujourd’hui à l’université Queen’s de Kingston, dans l’Ontario.
Cette nouvelle étude entre dans le cadre du financement de 1,7 million de dollars sur cinq ans octroyé par les Instituts nationaux de santé (NIH) à Aaron King et Pejman Rohani pour leurs recherches visant à comprendre les causes de la résurgence de la coqueluche.