Durant l’été 1915, Félix d’Hérelle de l’Institut Pasteur, est chargé d’une enquête sur une épidémie de dysenterie qui sévit dans un escadron de dragons, au repos à Maisons-Laffitte. À partir des déjections des soldats, d’Hérelle fait une découverte majeure : le bactériophage, virus mangeur de bactéries. Le bactériophage jouera un rôle essentiel dans la biologie moléculaire, notamment dans la démonstration que l’ADN est le support de l’hérédité et dans les travaux qui ont valu le prix Nobel à Lwoff, Monod et Jacob en 1965.
Pour terminer, mentionnons une découverte majeure faite à l’Institut Pasteur pendant la guerre. Son auteur fut une personnalité difficile à cerner, tenant plus de l’aventurier que du savant. Quelque peu mythomane, il se fit passer pour Canadien alors qu’il était Français, médecin alors qu’on ne peut trouver trace de ses études de médecine, et devait finalement se faire chasser de l’Institut Pasteur. Son nom : Félix d’Hérelle (lire son portrait dans l'article consacré au centenaire de la recherche sur les bactériophages).
En 1911, âgé de 38 ans, d’Hérelle arrive à l’Institut Pasteur après de multiples pérégrinations, au Canada, au Guatemala et au Mexique, où il s’est essayé aux activités les plus diverses, incluant la fabrication de whisky à partir de sirop d’érable, la recherche d’or dans le Labrador, la direction d’une chocolaterie, la production d’alcool à partir de surplus de bananes ou d’agave, puis la lutte bactériologique contre les criquets ravageant les cultures.
A l’Institut, après la déclaration de guerre, il est chargé d’effectuer des vaccinations, qu’il effectue à la chaîne, puis affecté au laboratoire de préparation des vaccins, notamment contre la typhoïde. En dépit de la grande charge de travail que représentent à la fois les vaccinations et la préparation des vaccins, d’Hérelle va trouver le temps d’effectuer un travail de recherche.
Durant l’été 1915, il est chargé d’une enquête sur une épidémie de dysenterie qui sévit dans un escadron de dragons, au repos à Maisons-Laffitte. À partir des déjections de ces soldats, d’Hérelle isole le bacille responsable de l’épidémie.
Avec ces bacilles il a la surprise de retrouver un phénomène qu’il avait observé précédemment avec sa bactérie tueuse de criquets, à savoir l’apparition de « taches vierges » sur le tapis trouble formé par les bactéries sur les boites de Pétri. En analysant les déjections des malades il constate qu’occasionnellement, l’addition de filtrats de celles-ci à une culture du bacille causait l’apparition desdites taches vierges. Quelle pouvait être la signification de ces taches ? L’illumination lui vint lorsqu’un jour, ayant incubé un mélange de filtrat avec une culture du bacille « un bien étrange spectacle m’attendait, raconte-t-il, tandis que la culture témoin, préparée la veille au soir, était très trouble comme à l’ordinaire, la culture dans laquelle j’avais ajouté quelques gouttes du filtrat de déjection du malade, était d’une limpidité parfaite : les bacilles dysentériques s’étaient dissouts comme du sucre dans l’eau pendant la nuit. » D’Hérelle fait alors l’hypothèse, qu’il confirmera par la suite, que le filtrat de déjection du malade contient un virus qui détruit la bactérie.
Le bactériophage : une découverte toujours d’actualité
D’Hérelle a découvert le bactériophage, le virus mangeur de bactéries. Mélangé à des bactéries il provoque l’apparition des fameuses taches vierges sur les boites Petri. Le virus se multipliant dans les bactéries donne naissance à plusieurs dizaines de descendants, qui infectent des bactéries voisines, et ainsi de suite. D’où l’apparition d’une zone ou les bactéries sont détruites et qui apparaît comme « vierge » sur la boite. Le bactériophage devait jouer un rôle majeur dans le développement de la biologie moléculaire, notamment dans la démonstration que l’ADN est le support de l’hérédité et dans les travaux qui ont valu le prix Nobel à Lwoff, Monod et Jacob en 1965.
En outre, d’Hérelle a pensé que le bactériophage pourrait être utilisé pour lutter contre des infections bactériennes (la phagothérapie). Bien que cette approche ait été immédiatement contestée par la plupart des savants de l’époque, et le reste encore aujourd’hui, elle est reprise aujourd’hui par certains chercheurs qui espèrent trouver là une alternative aux antibiotiques.
Ajoutons, pour terminer ce chapitre, que le bactériophage identifié par d’Hérelle ne constitue pas une curiosité de laboratoire. Toutes les bactéries peuvent être attaquées par un ou plusieurs bactériophages et ces derniers sont en nombre immense dans la nature. On trouve des bactériophages partout dans la biosphère. Dans un cm3 d’eau de mer, on en trouve de l’ordre de dix millions. On évalue leur nombre total à environ 1031, (un 1 suivi de 31 zéros) sans doute la plus grande population d’organismes sur terre. Ils représenteraient 90 % du carbone organique présent dans les océans !
Voici comment un aventurier affabulateur, mais esprit libre indéniablement curieux, a pu faire, en solitaire, une découverte majeure au sein d’un Institut Pasteur engagé à fond dans le soutien aux troupes lors de la Grande Guerre. Découverte qui a valu à d’Hérelle d’être plusieurs fois proposé pour le prix Nobel.
Découvrez notre série consacrée aux Pasteuriens pendant la Grande Guerre
Extrait d’une conférence au Palais de la Découverte, mercredi 21 mars 2018, avec Annick Perrot, conservateur honoraire du musée Pasteur, et Maxime Schwartz, ancien directeur général de l’Institut Pasteur.
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : introduction
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : la typhoïde
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : le tétanos
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : septicémie et gangrène
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : la lutte contre les rats
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : paludisme et Armée d’Orient