Sans la vaccination antityphoïdique et vu les conditions d’hygiène déplorables existant dans les tranchées et sur l’ensemble des fronts, le nombre de victimes de la première des épidémies de la Grande Guerre aurait pu être considérable. On a estimé que le nombre de cas de typhoïde aurait dépassé, en 1917, le million, et celui des décès de plus de 150 000. A l’époque, la presse a célébré « les vainqueurs de la fièvre typhoïde » : les pasteuriens André Chantemesse et Fernand Widal, et le médecin militaire Hyacinthe Vincent.
Dès les premiers jours d’août 1914, alors que la mobilisation oblige à improviser la concentration de nombreuses troupes dans des locaux trop étroits, une épidémie de fièvre typhoïde (découvrez notre fiche maladie) se déclare. Les soldats touchés sont durablement mis hors de combat, et la mortalité est élevée. C’est alors que d’anciens travaux d’André Chantemesse, collaborateur de Pasteur, vont prendre toute leur valeur.
Dès son entrée au laboratoire de Pasteur, en 1885, Chantemesse s’était intéressé à la typhoïde. Il s’agissait alors d’une maladie très répandue et souvent mortelle. La contamination se faisait le plus souvent par ingestion d’eau ou d’aliments contaminés par des selles de malades. Cette maladie avait emporté deux des filles de Pasteur, et avait failli emporter son fils pendant la guerre de 1870. Chantemesse entreprit alors de rechercher un vaccin contre cette maladie.
Dès 1888, André Chantemesse et son brillant élève, Fernand Widal, montrent que l’on peut conférer l’immunité contre la typhoïde à des animaux en leur injectant des doses élevées d’une culture de bacilles typhiques tués par la chaleur. Après ces travaux de pionniers, des recherches complémentaires sont effectuées, en Angleterre et en Allemagne. Elles permettent d’accroître l’efficacité du vaccin. Des essais sont effectués sur l’homme tant en France qu’à l’étranger avec des résultats très encourageants.
Ici s’introduit un autre acteur majeur, le médecin militaire Hyacinthe Vincent qui, depuis 1902, poursuit également des travaux en vue de la vaccination contre la typhoïde et qui comprend très vite l’intérêt qu’aurait pour l’armée une telle vaccination. En 1910, le ministère de la Guerre le missionne pour effectuer des essais de vaccination sur les troupes d’Afrique du Nord. Les résultats sont très encourageants et trouvent un écho attentif auprès du sénateur Léon Labbé qui dépose un projet de loi pour rendre obligatoire la vaccination antityphoïdique dans toute l’armée française. La loi est votée le 28 mars 1914, donc 4 mois avant la déclaration de guerre. La production du vaccin et sa distribution sont confiées au Val-de-Grâce pour l’Armée de Terre et à l’Institut Pasteur pour la Marine.
Le succès impressionnant des vaccins antithyphoïdiques
Lorsque la guerre éclate, les services de préparation du Val-de-Grâce, privés d’une grande partie de leur main-d’œuvre, sont débordés. Ils font rapidement appel à l’Institut Pasteur. La vaccination est pratiquée systématiquement à partir d’octobre.
Assez rapidement, il s’avère que la vaccination contre la seule Salmonella typhi n’est pas suffisante pour protéger contre la typhoïde. En effet, des Salmonelles très proches de Salmonella typhi, les Salmonella paratyphi A et B, causent une maladie quasi identique à la typhoïde véritable. Or ces bactéries, bien que très proches, sont suffisamment différentes pour qu’une immunisation contre l’une ne protège pas contre les autres. La vaccination contre ces deux paratyphoïdes est alors adjointe à celle contre la typhoïde. Ce sera le vaccin TAB, administré aux armées à partir de 1916.
Malgré quelques réticences dans le corps médical militaire, dues en particulier aux effets secondaires du vaccin, la campagne systématique de vaccination signe un bulletin de victoire. Les statistiques établies par le ministère de la guerre célèbrent le succès, impressionnant. Dans la zone des armées, dans les cinq derniers mois de 1914, on eut à déplorer 45 078 cas de fièvre typhoïde, avec 5 479 morts. Durant toute l’année 1917, il n’y eut plus que 1 678 cas avec 124 morts. Sans la vaccination et vu les conditions d’hygiène déplorables existant dans les tranchées et sur l’ensemble des fronts, le nombre de victimes de la première des épidémies de la Grande Guerre aurait pu être considérable. On a estimé le que le nombre de cas de typhoïde aurait dépassé, à cette date, le million, et celui des décès de plus de 150 000.
Ce succès est reconnu par l’Académie des sciences qui remet le prix Osiris de 1915 « à l’œuvre de la vaccination antityphoïdique », prix qu’elle décerne à la fois à Chantemesse et Widal d’une part et à Vincent d’autre part, ses trois « inventeurs » et maîtres d’œuvre en France. La presse célèbre « les vainqueurs de la fièvre typhoïde. »
Découvrez notre série consacrée aux Pasteuriens pendant la Grande Guerre
Extrait d’une conférence au Palais de la Découverte, mercredi 21 mars 2018, avec Annick Perrot, conservateur honoraire du musée Pasteur, et Maxime Schwartz, ancien directeur général de l’Institut Pasteur.
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : introduction
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : la typhoïde
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : le tétanos
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : septicémie et gangrène
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : la lutte contre les rats
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : paludisme et Armée d’Orient