L’infection à virus Zika est la plupart du temps sans symptôme ou peu grave. Cependant, elle peut parfois entrainer une maladie auto-immune : le syndrome de Guillain-Barré. Celui-ci conduit, chez de rares patients, à des complications neuropathiques graves nécessitant une hospitalisation urgente. Les autorités sanitaires doivent donc prévoir des places en réanimation. Ce fut le cas en Martinique, il y a un an, lorsque de l’épidémie de Zika sévissait sur tout le continent américain en 2015-2016. Santé publique France s’est notamment appuyé sur les travaux de modélisation de l’équipe de Simon Cauchemez (Institut Pasteur) pour confirmer ses recommandations.
Détecté en mai 2015, dans le Nord-Ouest du Brésil, le virus Zika s’étend très rapidement et le Brésil rapporte le plus grand nombre de cas de malades jamais décrit jusqu’à présent : entre 440 000 à 1 500 000 cas suspects rapportés. Le virus se répand progressivement sur le continent américain. En décembre 2015, deux premiers cas sont détectés en Guyane française par l’Institut Pasteur de la Guyane puis deux autres cas en Martinique.
Cet hiver 2015-2016, « c’était la première de épidémie de Zika en Martinique et nous nous demandions si nous aurions suffisamment de respirateurs sur l’île pour soigner d’éventuels patients atteints du syndrome de Guillain-Barré », explique Harold Noël, médecin épidémiologiste à Santé publique France (issue de la fusion de l’Institut de veille sanitaire, de l’Inpes et de l’Eprus). En mars 2016, des chercheurs de l’Institut Pasteur, et des partenaires locaux en Polynésie Française, ont démontré que l’infection à virus Zika, bien que souvent asymptomatique ou peu grave, est associée à un risque de syndrome de Guillain-Barré. Cette maladie auto-immune rare entraine parfois une paralysie du patient pouvant toucher les muscles de la respiration.
Mais comment anticiper l’accueil à l’hôpital de patients gravement atteints ? « En Martinique, non seulement, il fallait préparer les respirateurs en nombre suffisant mais aussi mobiliser du personnel qualifié supplémentaire en provenance de métropole », poursuit Harold Noël.
Pour affiner ses prévisions, Santé publique France a fait appel au support technique de l’Institut Pasteur à Paris et son unité de Modélisation mathématique des maladies infectieuses : « Nous avons analysé les données dont nous disposions, en Martinique, sur la surveillance du virus Zika et le syndrome de Guillain-Barré, explique Simon Cauchemez, qui dirige l’unité. Nous avons surtout développé les méthodes nécessaires pour analyser en temps réel, semaine après semaine, l’évolution de cette épidémie. » Chaque semaine, les données étaient mises à jour permettant à l’équipe de modélisation d’affiner ses prédictions. Après une première phase d’apprentissage du modèle, « nos résultats indiquaient que le nombre de cas de syndrome de Guillain-Barré allait être sensiblement plus bas en Martinique que ce que laissait présager une simple extrapolation de l’épidémie observée deux ans plus tôt en Polynésie française. » Les chercheurs ont estimé que huit lits de soins intensifs et sept respirateurs seraient suffisants pour gérer la situation, confirmant ainsi que les ressources dégagées par les autorités françaises étaient adaptées (cf. Lazarus C, Guichard M, Philippe JM, et al. The French experience of the threat posed by Zika virus. Lancet, juillet 2016).
« Cette modélisation a été un exercice complexe, souligne Simon Cauchemez, car nous ne savions pas quelle était la proportion de personnes infectées qui s’était rendue chez le médecin. Il nous était donc difficile d’extrapoler le nombre de personnes infectées sur l’île. » L’équipe a donc testé plusieurs scénarios possibles, en comparant notamment avec les données de l’épidémie 2013-2014 de Zika en Polynésie française.
« Lorsqu’on surveille une maladie émergente, il faut accepter que des données manquent parfois et rendent l’analyse difficile, poursuit Simon Cauchemez. Le travail de modélisation consiste souvent à déterminer dans quelle mesure ce qu’on ne connaît pas influe sur les prédictions. » Il s’est agi aussi de faire de la pédagogie auprès les autorités sanitaires. La modélisation ne prédit pas le comportement exact d’une épidémie, mais elle permet de disposer d’hypothèses de travail pour anticiper plusieurs scénarios possibles. « Comprendre l’intérêt de la modélisation est essentiel pour prendre des décisions éclairées, précise le médecin de Santé publique France. Nous avons donc, à notre tour, pu faire de la pédagogie auprès de la Direction générale de la santé et l’Agence régionale de santé. »
Cette étude met en évidence la contribution de la modélisation pour la planification locale de l’offre de soins, au cours d’une épidémie. D’autres études de ce type sont nécessaires pour améliorer le pouvoir prédictif de telles approches.
Source
Real-time assessment of healthcare requirements during the Zika virus epidemic in Martinique, American Journal of Epidemiology, 15 février 2017.
Alessio Andronico, Frédérique Dorléans, Jean-Louis Fergé, Henrik Salje, Frédéric Ghawché, Aissatou Signate, Elise Daudens-Vaysse, Laure Baudouin, Timothée Dub, Maite Aubry, Van-Mai Cao-Lormeau, Martine Ledrans, Harold Noel, Henri-Pierre Mallet, Arnaud Fontanet, André Cabié, Simon Cauchemez
Affiliations des auteurs: Mathematical Modelling of Infectious Diseases, Institut Pasteur, Paris, France (Alessio Andronico, Henrik Salje, Simon Cauchemez); Santé Publique France, French National Public Health Agency. Cellule d’intervention en région (Cire) Antilles Guyane, Saint-Maurice, France (Frédérique Dorléans, Elise Daudens-Vaysse, Martine Ledrans); CHU de Martinique, Fort de France, France (Jean-Louis Fergé, Aissatou Signate, André Cabié); Department of Epidemiology, Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health, Baltimore, USA (Henrik Salje); Centre Hospitalier de Polynésie Française, Papeete, Tahiti, Polynésie Française (Frédéric Ghawché, Laure Baudouin); Emerging Diseases Epidemiology Unit, Institut Pasteur, Paris, France (Timothée Dub, Arnaud Fontanet); Institut Louis Malardé, Papeete, Tahiti, French Polynesia (Maite Aubry, Van-Mai Cao-Lormeau); Santé Publique France, French National Public Health Agency, Saint-Maurice, France (Harold Noel); Bureau de Veille Sanitaire, Direction de la Santé, Papeete, Tahiti, Polynésie Française (Henri-Pierre Mallet).