L’habitat et le mode de vie influencent notre épigénome

Communiqué de presse
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Grâce à l’étude génomique des populations de chasseurs-cueilleurs Pygmées et d’agriculteurs Bantous d’Afrique centrale, des chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS, en collaboration avec des équipes françaises et internationales[1], ont montré pour la première fois que notre habitat et notre mode de vie peuvent influencer notre épigénome, c’est-à-dire l’ensemble du système qui contrôle l’expression de nos gènes sans en affecter la séquence. Les scientifiques ont en particulier mis en évidence que chez ces populations africaines, un passage récent d’un habitat forestier à urbain pouvait affecter l’épigénétique des fonctions de la réponse immunitaire. Au contraire, le mode de vie historique de ces populations – sédentaire agriculteur ou chasseur-cueilleur nomade – pouvait toucher des fonctions plus pérennes, comme celles liées au développement, via une modulation par sélection naturelle de son contrôle génétique. Cette étude est publiée dans la revue Nature Communications le 30 novembre 2015.  

Pygmée Aka, République centrafricaine

Pygmée Aka, République centrafricaine. © Serge BAHUCHET/MNHN/CNRS Photothèque.

Comment l’espèce humaine peut-elle s’adapter à son environnement, comme par exemple à son habitat (en forêt, en milieu rural ou urbain) ou à son mode de vie (chasseur-cueilleur nomade ou agriculteur sédentaire) ? Au cours de l’évolution humaine, l’environnement a en effet exercé une pression sélective au niveau génétique, entraînant la sélection de mutations de l’ADN avantageuses pour notre espèce. Des chercheurs de l’unité de Génétique évolutive humaine (Institut Pasteur/CNRS URA 3012), dirigée par Lluis Quintana-Murci, directeur de recherche CNRS à l’Institut Pasteur, viennent de prouver que l’habitat et le mode de vie des populations humaines peuvent aussi agir au niveau épigénétique, c’est-à-dire par des modifications modulant l’expression des gènes.

 

Au contraire de la génétique, qui se rapporte à la séquence des acides nucléiques constituant l’ADN et portant nos gènes, l’épigénétique s’intéresse aux éléments ne modifiant pas la séquence génétique, mais pouvant néanmoins affecter l’expression des gènes. Pour ces travaux, les chercheurs ont étudié les modifications épigénétiques de l’ADN, en particulier la méthylation, c’est-à-dire l’ajout de groupements chimiques méthyles sur la séquence des gènes (voir encadré).

 

Pour mesurer l’influence de l’environnement sur l’épigénome, les chercheurs ont pris pour modèles deux populations d’Afrique centrale aux modes de vie et aux habitats différents : les « Pygmées », peuple de chasseurs-cueilleurs nomades vivant dans la forêt, et les « Bantous », agriculteurs sédentarisés dans des habitats urbains, ruraux ou forestiers, deux populations qui se sont séparées il y a environ 60 000 ans. Les chercheurs ont en outre travaillé sur un groupe particulier d’agriculteurs (Bantous) qui se sont installés dans la forêt et partagent le même environnement que les Pygmées.

 

Les scientifiques ont d’abord comparé le niveau de méthylation génomique de ce groupe particulier de Bantous forestiers avec celui des Bantous urbains ou ruraux : ils ont observé que le changement récent d’habitat avait provoqué des modifications de l’épigénome concernant principalement les fonctions du système immunitaire.

 

En parallèle, ils ont comparé les méthylations du groupe de Bantous forestiers avec celles des Pygmées, afin d’étudier l’impact cette fois de leur mode de vie – agriculteurs pour les Bantous, chasseurs-cueilleurs pour les Pygmées. Ils ont alors constaté des différences de l’épigénome, relatives cette fois au développement (la taille, la minéralisation osseuse…). Ils se sont aperçus que ces changements affectaient les caractéristiques physiques qui différencient, entre autres, les Bantous des Pygmées. Ces différences sont donc qualifiées « d’historiques ».

 

Si les modifications épigénétiques telles que la méthylation peuvent répondre de façon très réactive à l’environnement, elles ne se transmettent pas de génération en génération. Elles peuvent cependant devenir héritables quand elles sont contrôlées par une mutation de l’ADN. Les chercheurs ont ainsi prouvé que les changements « récents » de l’épigénome qui affectent l’immunité étaient dépourvus de contrôle génétique, alors que les différences « historiques » enrichies en contrôle génétique, étaient devenues héritables et ainsi pérennes.

 

Ces résultats expliquent en partie certaines prédispositions aux maladies. « Notre étude montre que les changements de mode de vie et d’habitat influencent fortement notre épigénome, et que l’urbanisation a un impact important sur les profils épigénétiques du système immunitaire. Ceci souligne l’importance de s’intéresser, en complément des études de génétique plus classiques, à la façon dont les changements épigénétiques pourraient créer un terrain immunitaire plus propice au développement de maladies auto-immunes, d’allergies, d’inflammations,… » explique Lluis Quintana-Murci.

 

Ce modèle d’étude, qui combine la génétique et l’épigénétique des populations, pourra être appliqué prochainement à d’autres populations afin d’identifier les fonctions biologiques qui seraient principalement affectées par les changements d’environnement, de mode de vie et d’habitat auxquels les populations humaines se voient de plus en plus confrontées.

 

En savoir plus sur l'épigénome

L’épigénome recouvre toutes les modifications de l’ADN qui modulent l’activité des gènes, sans en changer la séquence. La méthylation de l’ADN est une de ces modifications. Un groupe méthyle est une molécule fixée sur la séquence d’un gène. Quand un gène possède beaucoup de groupes méthyles, il sera alors peu exprimé, et inversement, un gène peu méthylé sera surexprimé. Sans aucun changement de la séquence génétique, la méthylation peut changer considérablement l’activité du gène. Ces changements épigénétiques se font de manière beaucoup plus rapide et plus flexible que les mutations génétiques.

 

 

 


Source

The epigenomic landscape of African rainforest hunter-gatherers and farmers, Nature Communications, 30 Novembre 2015

Maud Fagny (1,2,3), Etienne Patin (1,2), Julia L. MacIsaac (4), Maxime Rotival (1,2), Timothée Flutre (5), Meaghan J. Jones (4), Katherine J. Siddle (1,2), Hélène Quach (1,2), Christine Harmant (1,2), Lisa M. McEwen (4), Alain Froment (6), Evelyne Heyer (7), Antoine Gessain (8), Edouard Betsem (8,9), Patrick Mouguiama-Daouda (10), Jean-Marie Hombert (11), George H. Perry (12), Luis B. Barreiro (13,*), Michael S. Kobor (4,*) & Lluis Quintana-Murci (1,2)

 

(1) Institut Pasteur, Unit of Human Evolutionary Genetics, Paris 75015, France.
(2) Centre National de la Recherche Scientifique, URA3012, Paris 75015, France.
(3) Université Pierre et Marie Curie, Cellule Pasteur UPMC, Paris 75015, France.
(4) Centre for Molecular Medicine and Therapeutics, Child and Family Research Institute and Department of Medical Genetics, University of British Columbia, Vancouver, Canada BC V5Z 4H4.
(5) INRA, UMR AGAP, Montpellier 34060, France.
(6) IRD-MNHN, Sorbonne Universités, UMR208, Paris 75005, France.
(7) CNRS, MNHN, Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cite´, Sorbonne Université, UMR7206, Paris 75005, France.
(8) Institut Pasteur, Unité d’Epidémiologie et Physiopathologie des Virus Oncogènes, Paris 75015, France.
(9) Faculty of Medicine and Biomedical Sciences, University of Yaoundé I, Yaoundé, Cameroon.
(10) Laboratoire Langue, Culture et Cognition (LCC), Université Omar Bongo, Libreville, Gabon.
(11) CNRS UMR 5596, Université Lumière-Lyon 2, Lyon 69007, France.
(12) Departments of Anthropology and Biology, Pennsylvania State University, University Park, Pennsylvania 16802, USA.
(13) Université de Montréal, Centre de Recherche CHU Sainte-Justine, Montréal, Canada H3T 1C5.

* Ces auteurs ont contribué équitablement à ce travail.


[1] Le Muséum National d’Histoire Naturelle, l’INRA, les universités de la Colombie Britannique, de Lyon, de Yaoundé, de Libreville, de Pennsylvanie et de Montréal.

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