Le bacille de la peste a atténué sa virulence ce qui a prolongé la durée des deux grandes pandémies

Communiqué de presse
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Des scientifiques de l’Institut Pasteur et de l’Université McMaster ont découvert que l’évolution d’un gène de la bactérie responsable de la peste bubonique, Yersinia pestis, aurait permis de prolonger la durée des deux grandes pandémies. Ils mettent en évidence que l’ajustement du nombre de copies d’un gène spécifique de virulence augmente la durée d’infection des individus atteints. Cette évolution génétique augmenterait la durée de contagiosité dans un environnement moins densément peuplé où le temps de transmission d’un individu à l’autre est nécessairement plus long. Cette variation génétique est observée de manière indépendante pour chacune des deux grandes pandémies de peste, des centaines d’années avant qu’elles ne s’éteignent. L’étude est parue le 29 mai 2025 dans la revue Science.

L’histoire de l’humanité est marquée par trois grandes pandémies de peste. La première pandémie débute dans le bassin Méditerranéen au VIe siècle. La deuxième pandémie émerge au XIVe siècle et resurgit à plusieurs reprises pendant plus de 500 ans en Europe. La première vague de cette deuxième pandémie, connue sous le nom de « Peste Noire », reste à ce jour l’événement le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité, tuant 30 à 50% des populations européennes entre 1347 et 1352. La troisième pandémie de peste apparait en Asie en 1850. Elle se répand dans tous les continents, et perdure encore aujourd’hui dans des régions appelées « endémiques » qui comprennent des pays comme l’Ouganda et la République démocratique du Congo, mais également les Etats-Unis ou la Mongolie.

Le bacille de la peste, Y. pestis demeure très mortel en raison de la présence de divers facteurs de virulence, notamment le facteur pla, présent en de nombreuses copies dans le génome de la bactérie. Ce facteur de virulence permet à la bactérie d’atteindre les ganglions lymphatiques et d’y proliférer avant de se propager au reste de l’organisme, induisant une septicémie fulgurante.

En étudiant des centaines d’échantillons prélevés sur des victimes anciennes de la peste, les chercheurs de l’Université de Mc Master, spécialistes de l’ADN ancien, ont observé une diminution du nombre de copies du gène pla dans les dernières phases de la première et de la deuxième pandémie. Pour compléter cette observation, les scientifiques de l’Institut Pasteur se sont intéressés à la troisième pandémie de peste dont les échantillons sont plus récents et conservés vivants.

« Notre étude compte parmi les premières à se pencher spécifiquement sur l’évolution d’un pathogène ancien, toujours d’actualité, afin de comprendre les facteurs de virulence, de persistance ou d’extinction des pandémies », déclare Hendrik Poinar, coauteur principal de l’étude, directeur du McMaster Ancient DNA Centre et titulaire de la chaire Michael G. DeGroote d’anthropologie génétique. 

Le Centre National de Référence Peste et autres yersinioses à l’Institut Pasteur détient l’une des collections d’isolats modernes de Y. pestis les plus riches au monde. « Nos collaborateurs internationaux, qui surveillent les épidémies locales de peste dans le monde entier, nous ont permis de disposer d’échantillons bactériens uniques pour ce projet » explique Javier Pizarro-Cerdá, coauteur principal de l’étude, responsable de l’unité de recherche Yersinia et directeur du centre collaborateur OMS Peste à l’Institut Pasteur. « Nous avons pu identifier trois échantillons de Y. pestis prélevés dans les années 1990 en Asie dans lesquels le nombre total de gènes pla avait diminué » indique Guillem Mas Fiol, co-premier auteur de l’étude et chercheur dans l’unité Yersinia à l’Institut Pasteur. « Grâce à ces trois échantillons, nous avons pu étudier in vitro et in vivo l’effet biologique de ces délétions du gène pla, faisant ainsi un pont avec les observations paléo-génomiques de nos collègues canadiens » complète Javier Pizarro-Cerdá.

Sur des modèles murins de peste bubonique, les chercheurs ont observé que la diminution du nombre de copies du gène pla est liée à une mortalité réduite de 20% et à une augmentation de la durée d’infection chez les individus atteints, les rats infectés vivant plus longtemps.

Les chercheurs suggèrent que les rats infectés avec ces bactéries ont pu propager davantage l’infection dans un environnement où la densité de mammifères était réduite. En effet, la mortalité importante des rongeurs au début des vagues pandémiques entraine une diminution de la proximité des hôtes. « La diminution de la virulence donnerait un avantage sélectif au bacille dans le contexte d’une densité de population réduite » explique Javier Pizarro-Cerdá. Les pandémies auraient fini par s’éteindre, probablement en raison de la virulence réduite de ces souches.

Cette évolution génétique est apparue de manière aléatoire et indépendante dans chaque pandémie historique de peste. « Nos recherches lèvent le voile sur un schéma clé de l’histoire évolutive de la peste. Il faut souligner cependant que la plupart des souches qui continuent de circuler aujourd’hui en Afrique, en Amérique et en Asie sont des souches à la virulence élevée, c’est-à-dire celles autrefois responsables d’une mortalité massive », souligne Ravneet Sidhu, co-première auteure de l’étude et doctorante au Centre d’ADN Ancien à l’Université McMaster. La létalité due à l’infection par le bacille de la peste, Y. pestis, est aujourd’hui mieux maîtrisée grâce aux antibiotiques et aux méthodes diagnostiques, ce qui rend la dynamique évolutive différente.

« La peste demeure une maladie qui, même si rare aujourd’hui, reste un problème de santé publique et représente un modèle pour comprendre l’émergence mais également l’extinction des pandémies au sens large. Cet exemple illustre l’équilibre de virulence qu’un pathogène peut adopter pour se transmettre efficacement d’un hôte à l’autre » conclut Javier Pizarro-Cerdá.


Source

Attenuation of virulence in Yersinia pestis across three plague pandemics, Science, 29 mai 2025

Ravneet Kaur Sidhu*1,2,†, Guillem Mas Fiol3,4,†, Pierre Lê-Bury3,4,5, Christian E. Demeure4, Emelyne Bougit3, Rémi Beau3, Charlotte Balière6, Aurelia Kwasiborski6, Valérie Caro6, Jennifer Klunk1,7, Daniel J. Salkeld8, Ann Carmichael9, Nükhet Varlık10, Debi Poinar1, David J.D. Earn11,14, Benjamin M. Bolker2,11, Jonathan Dushoff2,14, G. Brian Golding2, Nicolas Rascovan12, Olivier Dussurget3,4, Edward C. Holmes13, Javier Pizarro-Cerdá*3,4 and Hendrik N. Poinar*1,14, 15

1McMaster Ancient DNA Centre, Departments of Anthropology and Biochemistry, McMaster University, Hamilton, Ontario, Canada L8S4L9.
2Department of Biology, McMaster University, Hamilton, Ontario, Canada L8S4L9.
3Institut Pasteur, Université Paris-Cité, Yersinia Research Unit, 7-5015 Paris, France.
4Institut Pasteur, Université Paris Cité, WHO Collaborating Research and Reference Centre for Plague FRA-146, F-75015 Paris, France
5Center for Immunology of Viral, Auto-immune, Hematological and Bacterial Diseases (IMVA- HB/IDMIT), Université Paris-Saclay, Inserm, CEA, F-92260 Fontenay-aux-Roses, France 6Institut Pasteur, Université Paris-Cité, Environment and Infectious Risk Unit, Laboratory for Urgent Response to Biological Threats, F-75015, Paris, France
7Daciel Arbor Biosciences, Ann Arbor, MI, USA
8Department of Biology, Colorado State University, CO, USA.
9History Department, Indiana University, Bloomington, IN, USA.
10Department of History, Rutgers University-Newark, NJ, USA.
11Department of Mathematics and Statistics, McMaster University, Hamilton, Ontario, Canada L8S4K1.
12Institut Pasteur, Université Paris-Cité, Microbial Palogenomics Unit, F-75015, Paris, France 13School of Medical Sciences, University of Sydney, Sydney, NSW 2006. Australia.
14Michael G. DeGroote Institute of Infectious Disease Research, McMaster University, Hamilton, Ontario, Canada L8S4L9.
15Canadian Institute for Advanced Research, Toronto, Canada.

†These authors contributed equally to this work

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