Paludisme – une cartographie mondiale de la résistance à l’artémisinine apporte la confirmation que celle-ci est confinée en Asie du Sud-Est

Communiqué de presse
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La première cartographie mondiale de la résistance à l’artémisinine (étude KARMA) a formellement confirmé que la résistance au principal médicament utilisé actuellement pour traiter le paludisme à Plasmodium falciparum est pour le moment confinée en Asie du Sud-Est et n’a pas atteint l’Afrique subsaharienne. Réalisée par des chercheurs de l’Institut Pasteur à Paris et de l’Institut Pasteur du Cambodge, KARMA rassemble un large consortium d’institutions, dont 13 membres du Réseau international des Instituts Pasteur. Les résultats ont été publiés le 22 juin dans le New England Journal of Medicine.

 

Depuis 2008, l’émergence au Cambodge de souches de Plasmodium falciparum résistantes aux dérivés de l’artémisinine, dernière génération de médicaments antipaludéens, compromet gravement l’effort mondial de lutte contre le paludisme.

 

Ces deux dernières années, les chercheurs de l’Institut Pasteur ont dirigé un consortium international nommé KARMA (K13 Artemisinin Resistance Multicenter Assessment Consortium – Consortium pour l’évaluation multicentrique de la résistance à l’artémisinine K13), soutenu par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et conduit avec 41 partenaires, dont 13 du Réseau international des Instituts Pasteur. L’étude KARMA s’appuie sur une découverte effectuée en 2014 par des scientifiques de l’unité d’Épidémiologie moléculaire du paludisme de l’Institut Pasteur du Cambodge et du département des Parasites et insectes vecteurs de l’Institut Pasteur à Paris : l’identification du gène K13 comme déterminant majeur de la résistance de P. falciparum à l’artémisinine[1].

 

De mai à décembre 2014, ces scientifiques ont étudié la diversité (le polymorphisme) du gène K13 sur 14 037 échantillons sanguins de patients infectés par P. falciparum, provenant de 59 pays endémiques (72 % d’Afrique, 19 % d’Asie, 8 % d’Amérique latine et 1 % d’Océanie). Tous les échantillons analysés ont été prélevés après 2012, afin d’avoir un aperçu le plus actuel possible de la  situation.

 

« Jusqu’à présent, les scientifiques ne disposaient pas des outils permettant de connaître précisément la nature de la résistance aux médicaments antipaludéens dans les principales régions affectées, comme l’Afrique subsaharienne », indique Didier Ménard, responsable de l’unité d’Épidémiologie moléculaire du paludisme à l’Institut Pasteur du Cambodge. « La cartographie établie par l’étude KARMA est une des avancées de santé publique majeures tant attendues pour combattre le paludisme. »

 

Les résultats de l’étude KARMA sont d’autant plus importants que les parasites résistants à la chloroquine, première génération de molécule utilisée contre le paludisme, ont d’abord émergé en Asie du Sud-Est, à la fin des années 1960. Malheureusement, les marqueurs moléculaires utilisés pour détecter cette résistance ont été identifiés bien après la propagation de ces parasites en Afrique, qui a entraîné des millions de morts.

 

« Grâce aux marqueurs moléculaires, nous avons désormais la possibilité de tracer la résistance aux antipaludiques à l’échelle mondiale et quasiment en temps réel. », ajoute Didier Ménard. « Nous devons impérativement utiliser cette technologie pour prendre le parasite de vitesse et empêcher ce scénario tragique de se reproduire en Afrique. » Selon les dernières estimations de l’OMS, 214 millions de cas de paludisme, dont 438 000 mortels, ont été constatés en 2015, principalement en Afrique subsaharienne.

 

Alors que 103 mutations de la protéine K13 étaient déjà connues, dont 4 conférant une résistance à l’artémisinine (selon la définition de l’OMS), l’étude KARMA a permis d’en identifier 70 nouvelles. « Nous montrons que seul un faible nombre de mutations sont associées à la résistance, ce qui devrait faciliter la surveillance de la résistance à l’artémisinine au niveau mondial », explique Odile Mercereau-Puijalon, du département des Parasites et insectes vecteurs de l’Institut Pasteur de Paris.

En effet, l’étude KARMA révèle que la mutation la plus fréquemment observée en Afrique (A578S) n’est pas associée à la résistance. « Des études antérieures ont mis en lumière l’émergence de cette mutation en Afrique. Nous allons plus loin en observant que cette mutation ne s’étend pas et en démontrant qu’elle ne confère pas de résistance à l’artémisinine aux parasites. »

 

L’étude KARMA a également mis au jour deux foyers où l’on identifie de nombreux évènements d’émergence de parasites résistants à l’artémisinine. Ces deux foyers, dans les régions Cambodge-Vietnam-Laos et Myanmar-ouest de la Thaïlande-sud de la Chine, sont indépendants suggérant que les stratégies internationales ont probablement permis, jusque-là, de contenir la dissémination de la résistance.

 

[1] Ariey F, Witkowski B, Amaratunga C, Beghain J, Langlois AC, Khim N, Kim S, Duru V, Bouchier C, Ma L, Lim P, Leang R, Duong S, Sreng S, Suon S, Chuor CM, Bout DM, Ménard S, Rogers WO, Genton B, Fandeur T, Miotto O, Ringwald P, Le Bras J, Berry A, Barale JC, Fairhurst RM, Benoit-Vical F, Mercereau-Puijalon O, Ménard D. A molecular marker of artemisinin-resistant Plasmodium falciparum malaria. Nature. 2 janv. 2014 ; 505(7481):50-5. doi : 10.1038/nature12876.

 

 


Source

A Worldwide Map of Plasmodium falciparum K13-Propeller Polymorphisms, The New England Journal of Medicine, 22 juin 2016, DOI : 10.1056/NEJMoa1513137

 

D. Ménard, N. Khim, J. Beghain, A.A. Adegnika, M. Shafiul‑Alam, O. Amodu, G. Rahim‑Awab, C. Barnadas, A. Berry, Y. Boum, M.D. Bustos, J. Cao, J.-H. Chen, L. Collet, L. Cui, G.-D. Thakur, A. Dieye, D. Djallé, M.A. Dorkenoo, C.E. Eboumbou‑Moukoko, F.-E.-C.J. Espino, T. Fandeur, M.-.-F. Ferreira‑da‑Cruz, A.A. Fola, H.-P. Fuehrer, A.M. Hassan, S. Herrera, B. Hongvanthong, S. Houzé, M.L. Ibrahim, M. Jahirul‑Karim, L. Jiang, S. Kano, W. Ali‑Khan, M. Khanthavong, P.G. Kremsner, M. Lacerda, R. Leang, M. Leelawong, M. Li, K. Lin, J.-B. Mazarati, S. Ménard, I. Morlais, H. Muhindo‑Mavoko, L. Musset, K. Na‑Bangchang, M. Nambozi, K. Niaré, H. Noedl, J.-B. Ouédraogo, D.R. Pillai, B. Pradines, B. Quang‑Phuc, M. Ramharter, M. Randrianarivelojosia, J. Sattabongkot, A. Sheikh‑Omar, K.D. Silué, S.B. Sirima, C. Sutherland, D. Syafruddin, R. Tahar, L.-H. Tang, O.A. Touré, P. Tshibangu‑wa‑Tshibangu, I. Vigan‑Womas, M. Warsame, L. Wini, S. Zakeri, S. Kim, R. Eam, L. Berne, C. Khean, S. Chy, M. Ken, K. Loch, L. Canier, V. Duru, E. Legrand, J.-C. Barale, B. Stokes, J. Straimer, B. Witkowski, D.A. Fidock, C. Rogier, P. Ringwald, F. Ariey et O. Mercereau‑Puijalon, pour le consortium KARMA*

 

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