Des chercheurs de l'Institut Pasteur viennent de publier dans la revue Science les résultats d'une étude retraçant la dissémination de la lèpre à travers le monde au cours des siècles. Le bacille responsable de la maladie, Mycobacterium leprae, étant pour diverses raisons incultivable en laboratoire, cette équipe de recherche a fait appel à la technique de génomique comparative pour démontrer qu'un seul clone du bacille est en réalité responsable de la pandémie. Il semblerait que la lèpre soit originaire de l'Afrique de l'Est ou du Proche-Orient, et qu'elle se serait propagée au gré des migrations humaines successives qui sont intervenues au cours de l'histoire. Les européens ou les nord-africains auraient notamment introduit la maladie en Afrique de l'Ouest et dans les Amériques au cours des 500 dernières années.
Communiqué de presse
Paris, le 13 mai 2005
L’histoire de tous les organismes vivants est inscrite dans leur génome. Les techniques de génomique comparative dont dispose aujourd’hui la recherche permettent d’établir avec une grande précision des relations généalogiques entre les génomes et de reconstituer ainsi l’origine des différentes formes de vie. C’est grâce à ces méthodes de pointe que l’Unité de Génétique Moléculaire Bactérienne de l’Institut Pasteur, dirigée par le Pr. Stewart Cole, a pu retracer les origines géographiques de la lèpre. Cette équipe était déjà experte dans l’étude du génome du bacille Mycobacterium leprae puisqu’elle avait établi sa séquence complète dès 2001*. Afin d’étudier la biodiversité de la lèpre, elle a procédé à l’analyse de 175 souches, provenant de 21 pays représentatifs des cinq continents.
Que savait-on jusqu’à présent des origines et de l’évolution de la lèpre? Les textes anciens témoignent de la présence de la lèpre en Chine, en Inde et en Egypte environ 600 ans avant J-C. et des squelettes portant les traces de la maladie ont été découverts en Egypte. On pensait que la lèpre avait pour origine le sous-continent indien et qu’elle avait été introduite en Europe par des soldats grecs au retour de la campagne d’Alexandre le Grand en Inde. D’Inde, la maladie aurait aussi progressé vers la Chine, puis le Japon, touchant plus récemment, au XIXème siècle, certaines îles du Pacifique comme la Nouvelle-Calédonie. On savait jusqu’ici peu de choses sur la situation en Afrique sub-saharienne, sinon que la lèpre y était déjà présente avant l’ère coloniale.
Les résultats obtenus par les chercheurs de l’Institut Pasteur permettent actuellement d’envisager deux scénarios plausibles sur l’origine géographique de la lèpre dans le monde : elle pourrait effectivement être originaire d’Asie, mais il semble cependant plus probable que son point de départ se situe en Afrique de l’Est. " En tout état de cause, il est maintenant clairement établi que la pandémie résulte de la dissémination d’une souche unique qui ne s’est guère modifiée au cours des siècles ", dit le Pr. Cole.
Pour la première fois, cette étude apporte la preuve d’un schéma d’évolution générale de M. leprae et amène à deux conclusions vraisemblables concernant la dissémination globale de la lèpre, qui diffèrent des rapports historiques et les enrichissent.
Tout d’abord, et de façon inattendue, la maladie aurait plutôt été introduite en Afrique de l’Ouest par des explorateurs, des commerçants ou des colons porteurs de l’infection provenant d’Afrique du Nord ou d’Europe, plutôt que par des migrants originaires d’Afrique de l’Est. Ces derniers se sont probablement installés à l’Ouest et au Sud de l’Afrique il y a 50 000 ans, avant l’arrivée des hommes dans les régions eurasiennes, et il semble improbable, d’après l’analyse réalisée, que ces premiers humains aient apporté la lèpre en Afrique de l’Ouest. D’Afrique de l’Ouest, la lèpre a ensuite été introduite par le commerce des esclaves au XVIIIème siècle dans les îles Caraïbes, au Brésil et vraisemblablement dans les autres régions d’Amérique du Sud, des isolats au même profil que ceux d’Afrique de l’Ouest ayant été découverts dans ces régions.
Par ailleurs, la souche de M. leprae majoritairement responsable de la maladie sur le continent américain est plus proche du type présent en Europe et en Afrique du Nord, ce qui indique que le colonialisme et l’émigration depuis le vieux continent ont très certainement contribué à l’introduction de la lèpre dans le Nouveau Monde. De fait, au XVIIIème et au XIXème siècles, lorsque les immigrants scandinaves se sont installés dans l’ouest des Etats-Unis, de nombreux cas de lèpre ont été rapportés, alors que dans le même temps, une vaste épidémie sévissait en Norvège. Cette hypothèse est confortée par la présence aujourd’hui d’une souche du même profil génétique que la souche d’Europe et d’Afrique du Nord chez les tatous naturellement infectés en Louisiane (Etats-Unis), dont l’infection a sans doute une origine humaine.
Les auteurs concluent que M. leprae est un marqueur utile pour retracer les migrations humaines qui ont conduit aux populations modernes. Il est intéressant de noter que la plus grande variété génétique de souches du bacille de la lèpre est retrouvée dans des îles comme les Antilles et la Nouvelle Calédonie, reflétant le passage et l’installation de populations humaines de provenances variées.
Cette étude a pu être réalisée grâce aux outils épidémiologiques développés par les chercheurs de l’Institut Pasteur pour l’étude du bacille de la lèpre et au séquençage partiel du génome d’une souche brésilienne, deux raisons ayant motivé le choix de cette souche : son éloignement géographique de la souche indienne préalablement séquencée ainsi que l’importance de la maladie au Brésil, second pays endémique après l’Inde. C’est la comparaison de ces deux souches qui a permis de repérer d’infimes variations génétiques au sein du génome extrêmement stable de M. leprae, puis de classer les 175 souches analysées en quatre grands types de profils génétiques qui ont été corrélés à l’origine géographique des souches.
Ce travail a reçu un soutien financier de l’Institut Pasteur, de l’Association Raoul Follereau, de Lepra,du Consortium National de Recherche en Génomique, et des National Institutes of Health, National Institut of Allergy and Infectious Diseases.
Fléau de l’humanité pendant des siècles, marqué par la stigmatisation et l’exclusion, la lèpre n’appartient malheureusement pas au passé puisqu’elle touche 500 000 nouvelles personnes chaque année, et qu’il reste 2,8 millions de lépreux dans le monde.
Sources
" On the Origin of Leprosy " : Science, 13 mai 2005
Marc Monot (1), Nadine Honoré (1), Thierry Garnier (1), Romulo Araoz (1), Jean-Yves Coppée (2), Céline Lacroix (2), Samba Sow (3), John S. Spencer (4), Richard W. Truman (5), Diana L. Williams (5), Robert Gelber (6), Marcos Virmond (7), Béatrice Flageul (8), Sang-Nae Cho (9), Baohong Ji (10), Alberto Paniz-Mondolfi (11), Jacinto Convit (11), Saroj Young (12), Paul E. Fine (12), Voahangy Rasolofo (13), Patrick J. Brennan (4), and Stewart T. Cole (1)
1) Unité de Génétique Moléculaire Bactérienne, Institut Pasteur, Paris, France
2) PF2, Génopole, Institut Pasteur, Paris, France
3) Centre National d’Appuis à la lutte Contre la Maladie, Bamako, Mali
4) Department of Microbiology, Immunology, and Pathology, Colorado State University, Fort Collins, Colorado 80523-1682, USA
5) National Hansen’s Disease Program, DHHS/HRSA/BPHC, Lousiana State University, Baton Rouge, Lousiana 70894, USA
6) Leonard Wood Memorial Center for Leprosy Research, Cebu, Philippines
7) Instituto "Lauro de Souza Lima", Bauru, São Paulo, Brazil
8) Hôpital Saint-Louis, Paris, France
9) Yonsei University College of Medicine, Seoul, Republic of Korea
10) Bactériologie-Hygiène, Faculté de Médecine Pitié-Salpêtrière, Paris, France
11) Instituto de Biomedicina, Caracas, Venezuela
12) London School of Hygiene and Tropical Medicine, London, UK
13) Institut Pasteur de Madagascar, Antananarivo, Madagascar
* " Séquençage du bacille de la lèpre : un pas décisif dans la lutte contre la maladie ", communiqué du 22 février 2001
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