Si le contrôle de la rage a considérablement progressé depuis la première expérimentation d’un vaccin par Louis Pasteur, elle tue aujourd’hui encore des milliers de personnes n’ayant pas accès à ce traitement. Des chercheurs sont parvenus à retracer l’évolution de cette maladie dans le monde et au fur et à mesure des époques, pour mieux comprendre les maladies infectieuses émergentes et s’y préparer.
En 1885, Louis Pasteur réalise avec succès la première vaccination contre la rage sur Joseph Meister, un petit berger alsacien âgé de 9 ans. Un siècle et demi et des millions de vies sauvées plus tard, cette maladie continue malheureusement de sévir dans certains pays asiatiques et africains. Dans une étude parue le 17 juillet 2023 dans la revue Nature Communications, une équipe de chercheurs a relevé un défi audacieux : retracer l’évolution du virus de la rage au travers du monde et des époques, depuis la fin du Moyen-Âge jusqu’à aujourd’hui.
Une analyse de milliers de séquences d’ADN grâce à la biologie computationnelle
« Les scientifiques peuvent plonger dans le génome des virus pour comprendre d’où ils viennent et comment ils se propagent. Ce n’est pas une tâche facile, surtout lorsqu’il s’agit de maladies anciennes qui nous ont laissé de nombreuses informations génétiques incomplètes », commence Andrew Holtz, chercheur au sein de l’unité Lyssavirus épidémiologie et neuropathologie de l’Institut Pasteur et premier auteur de l’étude. À ces fins, les chercheurs ont analysé des milliers de séquences d’ADN, issues de souches plus ou moins anciennes du virus de la rage dont les provenances sont connues. « Les séquences étaient dans certains cas incomplètes, mais nous avons pu les reconstituer en les comparant avec le génome de référence, comme lorsqu’on essaie de reconstituer un puzzle à partir de son modèle », explique Anna Zhukova, chercheuse au sein du hub Bioinformatique et Biostatistique de l’Institut Pasteur et autrice principale de l’étude.
Une expansion rapide de la rage à partir du XIVe siècle
Les mutations aléatoires et les effets de l’environnement ont fait que chaque séquence analysée possède ses petites différences. Et ce sont ces dernières qui ont permis aux chercheurs de retracer l’histoire évolutive et géographique de la rage. « Notre méthode a révélé que la souche actuelle du virus a émergé entre les années 1301 et 1403. En estimant les dates et les voies d'introduction dans chaque région, nous avons pu retracer l'expansion de la rage à travers le monde. Nous avons également mis en évidence l'impact potentiel des colonisations par les Européens, ainsi que le rôle plus large des êtres humains dans la propagation de la maladie via les réseaux coloniaux et les commerces par exemple », décrit Andrew Holtz.
Comprendre la dissémination de la rage pour mieux la prévenir et la contenir
D’après les chercheurs, cette méthode d’analyse pourrait permettre de mieux comprendre comment les maladies se transmettent et évoluent selon les zones géographiques, ce qui offrirait de nouvelles possibilités pour sauver des vies. « En comprenant comment les virus se propagent, nous pouvons mieux nous préparer et prévenir les épidémies futures. La connaissance des schémas de transmission historiques de la rage pourrait par exemple aider à élaborer des stratégies plus précises de contrôle. Cela est particulièrement important lorsqu’un virus agit différemment selon les régions. » résument les chercheurs. Ces travaux ouvrent également la voie à des recherches similaires sur d’autres virus, en utilisant de vastes quantités de données génétiques jusqu’ici sous-exploitées.
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies infectieuses émergentes du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
Source
Integrating full and partial genome sequences to decipher the global spread of canine rabies virus, Nature Communications, July 17, 2023