Pourquoi les cellules souches embryonnaires se divisent indéfiniment sans jamais perdre leur identité ? Des chercheurs de l’Institut Pasteur viennent de répondre à cette question, en découvrant qu’un facteur de transcription (Esrrb) intervient directement dans le contrôle du transfert d’information grâce auquel les cellules souches, issues de divisions successives, expriment les mêmes gènes que la cellule souche initiale dont elles découlent.
Les cellules souches ont la propriété de se diviser indéfiniment à l’identique. Les cellules filles conservent la même identité que la cellule mère dont elles proviennent. Elles expriment exactement les mêmes gènes, à chaque génération. Comment expliquer ce phénomène ? Quelle information est transmise, autre que génétique, pour indiquer à chaque cellule fille quels gènes elle doit exprimer ?
« Lorsqu’une cellule se divise [mitose], les chromosomes se condensent pour former des "bâtonnets" qui vont par la suite être partagés entre les deux cellules filles. Or, dans ce contexte l’ADN n’est plus vraiment accessible aux facteurs de transcription, les molécules qui décident de quand et comment un gène doit être exprimé », explique Pablo Navarro Gil, responsable du laboratoire Epigénétique des cellules souches* de l’Institut Pasteur. La question centrale dans le domaine de l’Epigénétique est donc de comprendre quel type d’information est transmis par la cellule mère aux cellules filles, de sorte que les facteurs de transcription puissent activer ou éteindre le même répertoire génique.
Les progrès récents de la biologie moléculaire laissent supposer que des marquages épigénétiques doivent persister. De façon tout à fait paradoxale, il semblait que les cellules souches ne présentaient qu’une dépendance très partielle aux mécanismes épigénétiques classiques. « Mais nous venons d’en trouver un ! Et pas des plus habituels… », poursuit Pablo Navarro-Gil. Grâce à des techniques pointues d’imagerie et une succession d’analyses biochimiques, son équipe a vu qu’un facteur de transcription, appelé Esrrb, restait sur la chromatine pendant la mitose, une propriété que seul une poignée de facteurs transcription semble avoir : en restant associé à l’ADN pendant la mitose, Esrrb serait capable d’informer directement les cellules filles des gènes qu’elles doivent exprimer. Par ailleurs, le chercheur souligne que « d’autres facteurs de transcription doivent avoir eux aussi cette propriété de rester actifs pendant la mitose pour transmettre aux cellules filles la liste des gènes à activer. D’ailleurs, ce sont ces facteurs-là qui à mon avis ont un rôle prépondérant ! » Grâce à la recherche fondamentale, l’Institut Pasteur vient donc d’identifier un de ces facteurs épigénétiques et lève le voile sur la transmission de l’identité des cellules souches.
Le mécanisme épigénétique que vienne de découvrir les chercheurs éclaire donc la façon dont se transmet l’identité des cellules. Cette découverte apporte aussi une connaissance fondamentale essentielle, qui peut accélérer plusieurs recherches.
• Dans le cancer, notamment : la prolifération ininterrompue des cellules cancéreuses laisse penser que ce type de mécanisme pourrait avoir une place majeure. « En découvrant les facteurs concernés, probablement des oncogènes, il serait possible de les bloquer et d’empêcher la multiplication des cellules tumorales, résume Pablo Navarro Gil. Voire même détruire spécifiquement les cellules souches cancéreuses ; ces cellules qui, dans la tumeur, sont responsables de la rechute des patients. »
• En matière de médecine régénérative, les cellules souches sont envisagées pour fabriquer des tissus voire des organes destinés à être greffés. Il est alors nécessaire de faire se multiplier ces cellules, le plus rapidement possible (la greffe est souvent urgente), pour obtenir un pool de cellules dont on va guider la transformation en tel ou tel tissu à greffer. Mais, « avec leur propriété de division à l’infini, les cellules souches peuvent devenir tumorales», souligne Pablo Navarro Gil. Comprendre les mécanismes qui assurent le maintien de l’identité des cellules souches est un moyen de mieux contrôler leur multiplication et de faire en sorte qu’elles le fassent vite et bien.
* Ce laboratoire est un « Groupe à cinq ans », c’est-à-dire une équipe de recherche destinée à de jeunes scientifiques à fort potentiel.
Source
Mitotic binding of Esrrb marks key regulatory regions of the pluripotency network, Nature Cell Biology, 10 octobre.
Nicola Festuccia1, Agnès Dubois1, Sandrine Vandormael-Pournin2, Elena Gallego Tejeda1, Adrien Mouren1, Sylvain Bessonnard2, Florian Mueller3, Caroline Proux4, Michel Cohen-Tannoudji2 and Pablo Navarro1*
1: Epigenetics of Stem Cells, Department of Developmental & Stem Cell Biology, Institut Pasteur, CNRS UMR 3738, 25 rue du docteur Roux, 75015 Paris, France
2: Mouse Functional Genetics, Department of Developmental & Stem Cell Biology, Institut Pasteur, CNRS UMR 3738, 25 rue du docteur Roux, 75015 Paris, France
3: Imaging and Modelling, Department of Cell Biology & Infections, Institut Pasteur, CNRS UMR 3691, 25 rue du docteur Roux, Paris 75015, France
4: Transcriptome and EpiGenome, BioMics, Center for Innovation and Technological Research, Institut Pasteur, 28 rue du docteur Roux, 75015 Paris, France
*Corresponding author.
Mis à jour le 17/10/2016