Des chercheurs du CNRS et de l’Institut Pasteur ont réussi à comprendre par quel mécanisme les nutriments pénètrent dans une bactérie. Grâce à des technologies de pointe, ils ont complété le puzzle d’une chaine d’actions dans l’enveloppe bactérienne. Ils décryptent le fonctionnement d’un « moteur moléculaire » qui fait entrer les nutriments dans la bactérie, et expliquent la façon dont circule l’énergie pour les faire entrer. La preuve en images.
Les bactéries ont un besoin vital en certains nutriments rares tels que des métaux, vitamines ou encore certains sucres. Sans ces nutriments, la bactérie est en carence, ce qui altère ses fonctions, notamment l’infection d’un hôte... Les nutriments pénètrent la membrane bactérienne externe à l’aide des récepteurs de surface (protéines) et grâce à l’énergie en provenance des moteurs moléculaires du côté de la membrane interne.
Auparavant, on ne connaissait pas la structure complète de ces protéines, également appelées moteurs moléculaires (pourtant découverts dès les années 1970, mais la technologie ne permettait pas d’aller sonder la structure aussi bien qu’on peut le faire aujourd’hui), ni comment l’énergie était transférée de part et d’autre de l'enveloppe. Ce mécanisme était d'autant plus mystérieux que les moteurs moléculaires sont distants du récepteur. L’architecture du système, qui traverse l'enveloppe bactérienne, et la dynamique des divers composants et de leurs interactions rendait leurs études très complexes.
En combinant la biologie structurale et de la microbiologie, l’équipe Systèmes transmembranaires bactérien de Nadia Izadi-Pruneyre (Institut Pasteur/CNRS*) a réussi à compléter la structure atomique du moteur moléculaire. L'équipe a montré pour la première fois que la partie centrale du moteur est en deux états, ouvert ou fermé. Cette caractéristique leur confère une dynamique particulière, sur une échelle de temps allant de la microseconde à la milliseconde, permettant de transférer de l’énergie.
« L’interaction des nutriments à l’extérieur de la membrane avec le récepteur membranaire, déclenche tout un processus créant la dynamique des protéines. À la fin de cette chaine d’action, un canal s’ouvre et les nutriments peuvent rentrer », explique Nadia. Les tests fonctionnels ont révélé que cette dynamique et la transition entre les deux états sont indispensables pour l'importation des nutriments et la survie des bactéries. « Une fois ce transfert d’énergie compris, nous avons observé que seul l’état ouvert était capable d'interagir avec les autres composants de l’enveloppe membranaire et du système » explique Maximilan Zinke, premier auteur de cette étude.
Animation tridimensionnelle du transfert d’énergie par le moteur moléculaire pour faire entrer les nutriments dans la membrane bactérienne © Institut Pasteur/Maximilan Zinke
La spectroscopie de résonance magnétique nucléaire, ou RMN, a été cruciale pour cette découverte. Son apport réside dans sa capacité unique à fournir des informations structurales et dynamiques à l'échelle atomique dans les conditions physiologiques. Sa combinaison avec d’autres technologies dédiées à la biologie structurale telles que la cryomicroscopie électronique, développée récemment, et la cristallographie aux rayons X, est indispensable à la compréhension des machineries dynamiques et complexes telles que les moteurs moléculaires bactériens.
Ces moteurs moléculaires sont très conservés chez les bactéries et fournissent de l’énergie pour différentes fonctions très vitales. « Nous supposons que ce mécanisme est généralisé » chez toutes les bactéries. Cette découverte ouvre des perspectives pour lutter contre l’antibiorésistance. « Nous pourrions imaginer, à l’aide d’inhibiteurs, garder ces moulins tout le temps actif, ce qui épuiserait et bloquerait la bactérie », affirme Nadia. Certains métaux sont un enjeu de compétition entre le système immunitaire de l’hôte et les bactéries. Dans ce cas-là, l’organisme de l’hôte met en place tout un système pour séquestrer certains métaux, comme le fer, pour que les bactéries ne puissent pas les utiliser.
* En collaboration avec la plateforme de Cristallographie aux rayons X et Ivo Boneca à l’Institut Pasteur, ainsi que Philippe Delepelaire à IBPC-CNRS.
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Résistance aux agents antimicrobiens du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
Source :
Ton motor conformational switch and peptidoglycan role in bacterial nutrient uptake, Nature Communications, 20 décembre 2023.