Reprogrammer les cellules immunitaires des personnes vivant avec le VIH pour les amener à enrayer l’infection : c’est la piste suivie par une équipe de l’Institut Pasteur. Elle vient de mettre au jour le potentiel des traitements anti-cholestérol dans le renforcement de l’immunité des patients. Ces travaux sont publiés dans eBioMedicine (The Lancet discovery science) (1).
Sur mille personnes vivant avec le VIH, une infime partie – moins de cinq, en moyenne – ont la capacité de contrôler naturellement le virus. On les appelle « contrôleurs du VIH ». Leur charge virale est particulièrement basse ou indétectable, même en l’absence de traitement antirétroviral.
A quoi doivent-ils ce système de défense naturel ? A la présence, au sein de leur arsenal de cellules de l’immunité acquise, de lymphocytes T cytotoxiques (CD8) particulièrement efficaces.
Les « contrôleurs » sont donc dotés de CD8 au programme moléculaire spécifique, leur permettant de déployer une action ciblée : ils « apprennent » à identifier les cellules infectées par le VIH et vont les détruire efficacement. Alors que, chez la plupart des personnes avec VIH, ces cellules sont moins efficaces et s’épuisent facilement.
Un lien entre statines et inflammation chronique de l’organisme
Or, il est possible de reprogrammer les lymphocytes TCD8 des personnes avec le VIH pour booster leur capacité et ressembler à celles qu’on retrouve chez les contrôleurs : cela a déjà été réalisé in vitro par les chercheurs de l’Institut Pasteur. Restait à obtenir la preuve de concept in vivo… et à identifier une molécule capable de modifier le programme moléculaire lymphocytaire.
Pourquoi avoir pensé aux statines ? Ce groupe de médicaments est le traitement de référence pour soigner l’hypercholestérolémie (l’excès de LDL-cholestérol, communément appelé « mauvais cholestérol ») et prévenir le risque cardiovasculaire… Or, depuis quelques années, des scientifiques s’intéressent à leur action bénéfique dans l’infection par le VIH.
De précédents travaux des équipes de l’APHP avec l’Institut Pasteur avaient notamment montré un effet de réduction de l’inflammation chronique qui est associée au développement de différentes pathologies chez les personnes avec VIH. Par ailleurs, les scientifiques avaient montré que la capacité des CD8 des contrôleurs était très déterminée par leur programme métabolique.
Les statines modifient les lymphocytes CD8, chez quelques patients traités
L’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire, sous la direction d’Asier Sáez-Cirión, s’est appuyée sur ces travaux pour explorer l’impact des statines sur le programme moléculaire des CD8. A partir des échantillons de l’étude, des analyses ont été réalisées pour une dizaine de participants, qui recevaient au même temps un traitement antirétroviral, à trois phases distinctes : avant un traitement par rosuvastatine, au bout de trois mois de traitement, puis trois mois après l’arrêt des statines.
Le résultat est résumé par Asier Sáez-Cirión : « Chez tous les participants, le programme des cellules CD8 était modifié de façon importante et sur plusieurs paramètres : meilleures capacités de survie et de prolifération, meilleure activité fonctionnelle, moindre tendance à s’épuiser… Ceci les rapproche des caractéristiques des contrôleurs naturels du VIH. Par contre, cette action cesse dès que le traitement s’arrête. »
Vers de nouvelles stratégies thérapeutiques
Il est donc possible de modifier les caractéristiques des CD8 par traitement in vivo, avec des molécules bien connues, peu toxiques et bien tolérées… Et cela ouvre la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques.
« On ne pourra pas guérir du VIH grâce aux statines, ou obtenir une rémission. Mais nous avons à présent un point de départ précieux pour imaginer de nouvelles prises en charges. Nous pensons qu’en complétant les immunothérapies par des statines, nous pourrons renforcer considérablement la capacité des CD8. »
La perspective, au final, est qu’un jour, tous les personnes avec VIH puissent devenir des contrôleurs et interrompre durablement leur traitement sans expérimenter un rebond viral… Les étapes sont encore nombreuses. Pour l’instant, « nous cherchons à améliorer nos connaissances précises sur le mécanisme de reprogrammation cellulaire », éclaire Asier Sáez-Cirión.
Il faut aussi confirmer les résultats de l’étude sur un échantillon plus large, avec un groupe contrôle. Une étude contrôlée pré-clinique est en cours avec l'université de Pittsburgh pour évaluer l'impact de différents régimes diététiques, avec ou sans statines. Premiers résultats attendus en 2026.
(1) Impact of rosuvastatin on the memory potential and functionality of CD8+ T cells from people with HIV, paru dans eBioMedicine, Avril 2025.