Certains facteurs ont une grande influence sur les réponses immunitaires : l’âge, le sexe, les gènes… mais aussi le tabagisme. C’est ce que vient de mettre en évidence une équipe de scientifiques de l’Institut Pasteur grâce à la cohorte Milieu Intérieur qui suit les variations des réponses immunitaires chez 1 000 volontaires sains. Et si le fait de fumer a des conséquences à court terme sur l’immunité, cette habitude a également des conséquences à long terme. En effet, certains mécanismes de défense de l’organisme qui se trouvent altérés chez les fumeurs, le restent pendant de nombreuses années après l’arrêt du tabac. Ces résultats, qui mettent en évidence pour la première fois une mémoire à long terme des effets du tabagisme sur l’immunité, ont été publiés dans la revue Nature le 14 février 2024.
Le système immunitaire varie énormément d’un individu à l’autre, agissant de façon plus ou moins efficace face aux attaques microbiennes. Mais comment expliquer une telle variabilité ? Quels sont les facteurs qui induisent ces différences ? « C’est pour répondre à cette grande question que nous avons mis en place la cohorte Milieu Intérieur en 2011, qui regroupe 1 000 individus en bonne santé de 20 à 70 ans, commente Darragh Duffy, responsable de l’unité Immunologie translationnelle à l’Institut Pasteur et dernier auteur de l’étude. On sait que certains facteurs, comme l’âge, le sexe ou les gènes, impactent fortement le système immunitaire mais avec cette nouvelle étude, nous voulions savoir quels autres facteurs avaient le plus d’influence. »
Les scientifiques ont alors exposé des échantillons sanguins – prélevés chez les individus de la cohorte Milieu Intérieur – à une grande diversité de microbes (virus, bactéries, etc.) et observé la façon dont le système immunitaire réagissait via la mesure de niveaux de cytokines(1) secrétées. Disposant de nombreuses informations sur les individus de la cohorte, l’équipe a ensuite pu observer quelles variables parmi les 136 retenues (l'indice de masse corporelle, le tabagisme, le nombre d'heures de sommeil, l'activité physique, les maladies infantiles, les vaccinations, le lieu de vie, etc.) avaient le plus d’influence sur les réponses immunitaires étudiées. Trois variables se sont alors détachées du lot : le tabagisme, l’infection latente au cytomégalovirus(2) et l’indice de masse corporelle. « Ces trois facteurs pourraient avoir autant d'influence sur certaines réponses immunitaires que l'âge, le sexe ou les variables génétiques », souligne Darragh Duffy.
Concernant le tabagisme, l’analyse des données a démontré que la réponse inflammatoire – qui se déclenche spontanément lors de l’infection par un pathogène – était accrue chez les fumeurs mais aussi que l’activité de certaines cellules impliquées dans la mémoire immunitaire était altérée. Autrement dit, cette étude montre que le tabagisme perturbe non seulement des mécanismes de l’immunité innée mais également certains mécanismes de l’immunité adaptative.
En comparant les réponses immunitaires de fumeurs et d’ex-fumeurs, nous avons constaté que la réponse inflammatoire revenait rapidement à la normale après l’arrêt du tabac mais que l’impact sur l’immunité adaptative perdurait dans le temps, pendant 10 ou 15 ans. C’est la première fois que l’on met en évidence l’influence au long court du tabagisme sur les réponses immunitaires.
Darragh Duffy Responsable de l’unité Immunologie translationnelle à l’Institut Pasteur, dernier auteur de l’étude
En d’autres termes, tout se passe comme si le système immunitaire gardait en mémoire les effets du tabagisme sur le long terme. Mais de quelle façon ?
Lorsque nous nous sommes aperçu que les profils des fumeurs et des anciens fumeurs étaient similaires, nous avons immédiatement suspecté l’implication de processus épigénétiques(3)
Violaine Saint-AndréIngénieure de recherche au sein de l’unité Immunologie translationnelle à l’Institut Pasteur, première auteure de l’étude
"Et nous avons, en effet, mis en évidence que l’effet à long terme du tabagisme sur les réponses immunitaires était associé à des différences de méthylation(4) de l’ADN – susceptibles de modifier l’expression de gènes impliqués dans le métabolisme des cellules immunitaires – entre les fumeurs , les anciens fumeurs et les non-fumeurs, » retrace Violaine Saint-André. Ainsi, le tabagisme serait à même d’induire des changements persistants au niveau du système immunitaire, via des mécanismes épigénétiques.
« C’est une découverte importante pour mieux comprendre l’impact du tabagisme sur l’immunité d’individus en bonne santé mais aussi, par comparaison, sur l’immunité d’individus souffrant de diverses pathologies », conclut Violaine Saint-André.
(1) protéines sécrétées par un grand nombre de cellules immunitaires pour communiquer entre elles et participer aux défenses immunitaires.
(2) virus souvent asymptomatique mais dangereux pour le fœtus et qui appartient à la famille des Herpès.
(3) modifications de l’ADN qui impactent l’expression des gènes, c’est-à-dire comment ils vont être utilisés par les cellules.
(4) la méthylation est une modification chimique. Des groupements dits « méthyles » se positionnent sur l’ADN, ce qui modifie la façon dont le génome va être lu dans la cellule.
Source
Smoking changes adaptive immunity with persistent effects, Nature, 14 février 2024
Violaine Saint-André1,2*, Bruno Charbit3, Anne Biton2, Vincent Rouilly4, Céline Possémé1, Anthony Bertrand1,5, Maxime Rotival6, Jacob Bergstedt6,7,8, Etienne Patin6, Matthew L. Albert9, Lluis Quintana-Murci6,10, Darragh Duffy1,3*, and the Milieu Intérieur Consortium
1Translational Immunology Unit, Department of Immunology, Institut Pasteur, Université Paris Cité, Paris 75015, France.
2Bioinformatics and Biostatistics HUB, Department of Computational Biology, Institut Pasteur, Université Paris Cité, Paris 75015, France.
3Cytometry and Biomarkers UTechS, Center for Translational Research, Institut Pasteur, Université Paris Cité, Paris 75015, France.
4DATACTIX, Paris, France.
5Frontiers of Innovation in Research and Education PhD Program, LPI Doctoral School, Université Paris Cité, Paris, France.
6Institut Pasteur, Université Paris Cité, CNRS UMR2000, Human Evolutionary Genetics Unit, Paris 75015, France.
7Institute of Environmental Medicine, Karolinska Institutet, Stockholm, Sweden.
8Department of Medical Epidemiology and Biostatistics, Karolinska Institutet, Stockholm, Sweden.
9HIBIO, San Francisco, California, USA.
10Chair Human Genomics and Evolution, Collège de France, Paris 75005, France.
*Corresponding author