L’épidémie de choléra au Yémen décryptée grâce à la génomique

Communiqué de presse
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Le monde vit depuis 1961 sa 7e pandémie de choléra. Par vagues successives, la bactérie Vibrio cholerae accompagne l’homme dans ses migrations et déclenche parfois des épidémies dévastatrices, comme actuellement au Yémen. Mais quelles sont les voies de circulation les plus empruntées par ces bactéries ? Est-il possible de suivre, voire d’anticiper, les épidémies de choléra à travers le monde ? Pour tenter de répondre à ces questions, des chercheurs de l’Institut Pasteur et du Wellcome Trust Sanger Institute (Royaume-Uni), en collaboration avec plusieurs institutions internationales, se sont justement intéressés à l’épidémie de choléra qui sévit au Yémen. Grâce aux outils de la génomique, ils ont pu lever le voile sur l’histoire de ces souches et confirmer la possibilité d’avoir une vision globale de la circulation du vibrion cholérique. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Nature le 2 janvier 2019.

Lorsque la bactérie Vibrio cholerae responsable du choléra [a] arrive sur un nouveau continent – logée dans l’intestin d’un voyageur infecté –, elle ne déclenche pas systématiquement d’épidémie. Parfois la bactérie reste silencieuse, parfois elle se propage rapidement au sein de la population et fait des ravages comme actuellement au Yémen. Situé à la pointe sud-ouest de la péninsule d’Arabie et actuellement en guerre, le pays connaît en effet la plus grande épidémie de choléra de ces dernières décennies. Depuis septembre 2016, plus d’1 million de personnes ont été touchées par cette infection diarrhéique aiguë et 2 300 en sont mortes. Des chercheurs de l’Institut Pasteur et du Wellcome Trust Sanger Institute, en collaboration avec plusieurs institutions internationales, ont ainsi décidé de focaliser leur attention sur la souche yéménite afin de mieux cerner son histoire.

« Il y avait, au départ, un grand mystère sur l’origine de l’épidémie de choléra au Yémen », relate le Dr François-Xavier Weill, chef de l’unité des Bactéries pathogènes entériques à l’Institut Pasteur. « De façon inhabituelle, l’épidémie n’a pas explosé immédiatement. Il y a eu une première vague épidémique en 2016, relativement à bas bruit, puis une explosion majeure en 2017. Les deux vagues étaient tellement différentes que l’on s’est demandé s’il ne s’agissait pas de deux souches bactériennes distinctes », poursuit Marie-Laure Quilici, scientifique dans l’unité des Bactéries pathogènes entériques de l’Institut Pasteur et responsable du Centre national de référence des Vibrions et du choléra. Pour résoudre cette énigme, les chercheurs décident de se tourner vers la génomique. L’outil leur a déjà permis, lors d’une précédente étude, de mettre en évidence l’origine asiatique des souches cholériques qui circulent en Afrique et d’identifier deux portes d’entrée principales de la bactérie sur le continent, l’Afrique de l’Est et l’Afrique de l’Ouest (1).

L’idée, cette-fois, est donc d’étudier les souches bactériennes qui sont apparues au Yémen et dans les pays voisins entre 2014 et 2017. Après avoir collecté 116 isolats [b] bactériens dans des pays d’Asie du Sud, du Moyen-Orient et de la corne de l’Afrique – grâce à l’aide précieuse des acteurs de terrain, comme ceux de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et de Médecins Sans Frontières –, les chercheurs ont entrepris un séquençage de leur génome. « Avec les techniques de séquençage haut débit, on peut voir l’accumulation de petites mutations ponctuelles (Single Nucleotide Polymorphisms ou SNPs) dans le génome des bactéries au fil des générations et remonter l’arbre généalogique, explique le Dr François-Xavier Weill. Et si on croise ces données génomiques avec des données géographiques et temporelles, on arrive à suivre la propagation des épidémies, à les lier entre elles et à savoir ce qui se passe entre les épidémies ».

Après plusieurs mois de collecte et d’analyses, les résultats tombent. Les souches à l’origine des deux vagues épidémiques de choléra au Yémen appartiennent à une seule et même lignée. Et cette lignée n’arrive pas directement d’Asie du Sud ou du Moyen Orient mais de la corne de l’Afrique, de Tanzanie et du Kenya. Autre résultat étonnant : les souches yéménites sont sensibles à plusieurs antibiotiques couramment utilisés pour traiter le choléra, mais aussi aux polymyxines dont la résistance était utilisée pour distinguer les souches de la 6e et de la 7e pandémie. « C’est très surprenant car on a plutôt tendance à observer, dans le monde bactérien, une accumulation de mécanismes de résistance aux antibiotiques au cours du temps. Cela met ici en évidence qu’une souche sensible aux antibiotiques peut faire 1 million de cas de choléra et, qu’à l’inverse, une multi-résistance aux antibiotiques ne veut pas forcément dire une plus grande virulence », expose le Dr François-Xavier Weill.

« Cette étude illustre une nouvelle fois la nécessité d’associer données épidémiologiques et données de laboratoire pour suivre la circulation des souches et mieux contrôler le choléra. Tous les pays doivent en prendre conscience pour atteindre les objectifs fixés par la Global Task Force on Cholera Control (3) de l’OMS, à savoir faire baisser de 90 % le nombre de décès dus au choléra d’ici 2030 », insiste Marie-Laure Quilici. Ces nouveaux résultats confirment en effet la pertinence des analyses génomiques pour appréhender les voies de migrations du choléra et avoir une vision globale de la situation. « La grande difficulté reste toutefois de prédire le potentiel épidémique des vibrions cholériques qui circulent, et en particulier celui des lignées récemment introduites. Est-ce que les populations exposées développent une immunité spécifique vis-à-vis de la lignée circulante ? Si c’est le cas, cela nous permettra également d’adapter le choix des souches bactériennes entrant dans la conception des vaccins, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent. Ce sera l’objet de nos prochaines recherches », conclut le Dr François-Xavier Weill.

 

[a] maladie diarrhéique aiguë causée par l’ingestion de nourriture ou d’eau contaminée par la bactérie Vibrio cholerae, dont la transmission se fait entre êtres humains dans des zones souffrant d’un accès inadéquat à l’eau potable et à l’assainissement.

[b] colonie bactérienne isolée de l'environnement ou d'un prélèvement fait à un malade.

(1) Genomic history of the seventh pandemic of cholera in Africa, Science, 10 novembre 2017

(3) http://gtfcc.org/


Source

Genomic insights into the 2016-2017 cholera epidemic in Yemen, Nature, 2 janvier 2019

François-Xavier Weill (1Y), Daryl Domman (2Y), Elisabeth Njamkepo (1), Abdullrahman A. Almesbahi (3), Mona Naji (3), Samar Saeed Nasher (3), Ankur Rakesh (4), Abdullah M. Assiri (5), Naresh Chand Sharma (6), Samuel Kariuki (7), Mohammad Reza Pourshafie (8), Jean Rauzier (1), Abdinasir Abubakar (9), Jane Y. Carter (10), Joseph F. Wamala (11), Caroline Seguin (12), Christiane Bouchier (13), Thérèse Malliavin (14), Bita Bakhshi (15), Hayder H. N. Abulmaali (16), Dhirendra Kumar (6), Samuel M. Njoroge (7), Mamunur Rahman Malik (9), John Kiiru (7), Francisco J. Luquero (4), Andrew S. Azman (17), Thandavarayan Ramamurthy (18), Nicholas R. Thomson (2,19), Marie-Laure Quilici (1)

Y : ont contribué équitablement.

  1. Institut Pasteur, Unité des Bactéries Pathogènes Entériques, Paris, 75015, France
  2. Wellcome Sanger Institute, Wellcome Genome Campus, Hinxton, CB10 1SA, UK
  3. National Centre of Public Health Laboratories (NCPHL), Sana'a, Yemen
  4. Epicentre, Paris, 75011, France
  5. Ministry of Health, Riyadh, 11176, Saudi Arabia
  6. Maharishi Valmiki Infectious Diseases Hospital, Delhi, 110009, India
  7. Centre for Microbiology Research, Kenya Medical Research Institute, P. O. Box 19464 – 00202, Nairobi, 00202, Kenya
  8. Pasteur Institute of Iran, Department of Bacteriology, Tehran, 13164, Iran
  9. WHO Regional Office for the Eastern Mediterranean (EMRO), Cairo, 11371, Egypt
  10. Amref Health Africa, P. O. Box 30125 – 00100, Nairobi, Kenya
  11. World Health Organization (WHO), Juba, 88 211, South Sudan
  12. Médecins Sans Frontières (MSF), P. O. Box 65650, Dubai, United Arab Emirates
  13. Institut Pasteur, Plate-forme Génomique (PF1), Paris, 75015, France
  14. Unité de Bioinformatique Structurale, UMR 3528, CNRS; C3BI, USR 3756; Institut Pasteur, Paris, 75015, France
  15. Department of Bacteriology, Faculty of Medical Sciences, Tarbiat Modares University, P. O. Box 14115-331, Tehran, Iran
  16. Central Public Health Laboratory (CPHL), Baghdad, Iraq
  17. Department of Epidemiology, Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health, Baltimore, 21231, MD, USA
  18. Translational Health Science and Technology Institute (THSTI), Faridabad, Haryana 121001, India
  19. London School of Hygiene and Tropical Medicine, London, WC1E 7HT, UK

 

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