Shigellose

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200 000 personnes tuées dans le monde par an, dont 65 000 enfants de moins de 5 ans
10 à 100 bacilles suffisent à provoquer la maladie

Cause

La shigellose est provoquée par des bactéries nommées Shigella qui sont des clones spécialisés de Escherichia coli. Quatre sérogroupes de Shigella sont décrits (Shigella dysenteriae, Shigella flexneri, Shigella boydii et Shigella sonnei) et comprenant une cinquantaine de sérotypes. En France et dans les pays industrialisés, le sérogroupe le plus fréquent est S. sonnei mais il est aussi en train d’émerger mondialement, y compris dans les pays en développement, où il remplace S. flexneri. Par le passé, Shigella dysenteriae sérotype 1 (ou bacille de Shiga) causait des épidémies meurtrières. Depuis 2011, plus aucune souche de ce sérotype n’a été rapportée. Le processus pathologique induit par Shigella est très rapide. Ces bactéries contiennent un plasmide de virulence et envahissent les cellules épithéliales intestinales puis le tissu constituant la muqueuse recto-colique. Ce processus aboutit à une intense inflammation qui s’accompagne d’une sévère destruction tissulaire.

Symptômes

La forme dysentérique aiguë typique de l’adulte débute brusquement, après une incubation brève. Elle se caractérise par des douleurs abdominales souvent accompagnées de vomissements et l’émission de selles très fréquentes et nombreuses, glairo-sanglantes et purulentes, voire parfois hémorragiques. La fièvre est élevée, avec altération de l’état général.

Des complications peuvent émailler l’évolution de la maladie, surtout chez le nourrisson et le jeune enfant ; elles en causent les formes graves qui peuvent aboutir à la mort du patient et sont de plusieurs ordres.

  • Les complications aiguës dominées par :
  • une hypoglycémie, des bactériémies ou des septicémies à point de départ intestinal pouvant se compliquer de choc septique
  • une déshydratation due à la fièvre et à l’abondance des pertes hydro-électrolytiques de la diarrhée, menant au collapsus et à l’insuffisance rénale aiguë
  • un syndrome hémolytique et urémique, une insuffisance rénale aiguë de cause complexe, le plus souvent mortelle en l’absence de possibilités rapides de réanimation
  • un mégacôlon toxique, une occlusion intestinale pouvant se compliquer de perforation avec péritonite.
  • Les complications chroniques sont dominées par un état prolongé de malnutrition avec retard staturo-pondéral sévère chez les jeunes enfants.

Transmission

La shigellose est par excellence une maladie de l’insuffisance d’hygiène. Les shigelles sont transmises par voie féco-orale. Elles sont extrêmement infectieuses puisque 10 à 100 bacilles suffisent à provoquer la maladie. L’homme est le seul réservoir et peut éliminer ces bactéries dans ses selles pendant des semaines après un épisode dysentérique. Le plus souvent, la transmission est directe, du malade à son entourage. L’eau et les aliments souillés par des déjections contenant des bactéries Shigella, ainsi que les mouches, peuvent également transmettre la maladie. Du fait de ses conditions de survenue, la maladie touche essentiellement les enfants vivant dans les régions pauvres et surpeuplées de la planète où les infrastructures sanitaires et l’hygiène individuelle sont insuffisantes. Elle peut cependant aussi toucher les militaires en opération dans ces régions, les personnels humanitaires et les touristes. Dans les pays industrialisés, de petites épidémies à S. sonnei peuvent survenir dans des collectivités de jeunes enfants. Ces dernières années, S. sonnei et S. flexneri sont devenues épidémiques au sein de la communauté homosexuelle masculine.

Traitement et prophylaxie

A la différence des autres maladies diarrhéiques, la shigellose ne peut être traitée par la seule réhydratation. En effet, la bactérie envahit la muqueuse du colon et provoque une réaction inflammatoire qui conduit à la destruction des tissus infectés voire à des complications à distance. Les antibiotiques permettent généralement une guérison rapide et sans séquelles. Cependant, le traitement est compliqué par l’émergence de souches multi-résistantes, particulièrement de S. sonnei et de S. flexneri qui apparaissent fréquemment résistantes à tous les antibiotiques dits de première ligne (ampicilline, tétracycline, sulfaméthoxazole-triméthoprime, chloramphénicol, acide nalidixique), obligeant à l’usage d’antibiotiques plus rares et bien plus chers (fluoroquinolones, céphalosporines de 3ème génération et azithromycine). Les premières souches résistantes à l’ensemble de ces molécules commencent à être détectées en Angleterre, aux États-Unis d’Amérique, en Australie et en France. Il est tout à fait justifié, compte tenu des connaissances sur les précédentes épidémies, de s’attendre ces prochaines années à de nouvelles épidémies de shigellose avec ces souches hautement résistantes aux antibiotiques.

Comme pour toutes les maladies diarrhéiques, le traitement prophylactique repose sur l’amélioration des conditions d’hygiène : amélioration de l’apprentissage de l’hygiène individuelle, aménagement de latrines, contrôle des mouches, réglementation de l’utilisation agricole de matières fécales humaines, approvisionnement en eau potable. Ces améliorations sont malheureusement illusoires dans de nombreuses régions du monde, avec l’augmentation rapide des populations, en particulier urbaines. D’où l’importance et l’urgence de développer un vaccin. Dans la communauté homosexuelle masculine, une prévention sur cette nouvelle infection sexuellement transmissible est à mettre en place.

À l’Institut Pasteur

L’Institut Pasteur est chargé de la surveillance des cas de shigellose en France (métropole et Outre-Mer), à travers le Centre national de référence des Escherichia coli, Shigella et Salmonella (CNR), hébergé dans l’unité Bactéries pathogènes entériques dirigée par François-Xavier Weill (responsables adjointes : Sophie Lefèvre et Maria Pardos de la Gandara). En 2019, le CNR a identifié plus de 1300 souches de Shigella et a détecté huit épidémies à S. sonnei et une épidémie à S. flexneri (rapport annuel 2019 du CNR).

La stratégie vaccinale en cours de développement, initiée à la fin des années 90 dans l’unité de Chimie des biomolécules (UCB) dirigée par Laurence Mulard, et aujourd’hui poursuivie par l’UCB en collaboration avec le laboratoire Innovation : vaccins (LIV), dirigé par Armelle Phalipon, vise à proposer un vaccin de type sous-unité dérivé de sucres parfaitement définis, conçus par synthèse chimique. Ces sucres de synthèse sont conçus pour agir en tant que mimes fonctionnels des cibles majeures de la protection induite par l’infection naturelle, à savoir des polysaccharides complexes exposés à la surface de la bactérie et essentiels pour sa survie. Un transfert technologique réussi a permis de produit un lot clinique pour un candidat vaccin monovalent ciblant l’un des sérotypes prévalents de S. flexneri. Un essai clinique de phase 1 réalisé en Israël grâce à un financement européen a montré un excellent profil de tolérabilité et l’absence d’effets secondaires indésirables, ainsi que l’induction d’une réponse anticorps très élevée. Ces données ont conduit à la mise en œuvre d’un essai clinique de phase 2a, en cours au Kenya, grâce à un co-financement de la Fondation Bill et Melinda Gates et du Wellcome Trust. Cet essai vise à établir la tolérance de ce candidat vaccin et sa capacité à induire une réponse anticorps dans la population cible de la maladie, à savoir les très jeunes enfants en zone d’endémie. Les résultats seront connus courant 2023. Un essai visant à établir la capacité protectrice de ce candidat vaccin dans un modèle d’infection contrôlée chez l’Homme a été initié aux États-Unis avec le soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates.

En parallèle, la recherche amont effectuée au sein de l’UCB, en collaboration avec le LIV, avec le soutien de l’Union Européenne, de la Fondation Bill et Melinda Gates et du Gates Medical Research Institute (Gates MRI), a permis de concevoir des candidats vaccins pour S. sonnei et d’autres sérotypes prévalents de S. flexneri. Le développement d’un vaccin quadrivalent ciblant les souches de Shigella circulant de façon prédominante dans le monde est poursuivi en partenariat avec le Gates MRI.

Parallèlement à cette recherche vaccinale, un travail collaboratif entre plusieurs équipes de l’Institut Pasteur de Paris, des Instituts du Pasteur Network et le Service de Santé des Armées, a conduit au développement de bandelettes permettant un diagnostic rapide, en seulement 15 minutes, par simple contact avec un prélèvement de selles. Actuellement, des bandelettes de diagnostic de S. flexneri 2a (sérotype endémique prévalent) et S. dysenteriae 1 (principal sérotype épidémique) ont été élaborées et d’autres bandelettes sont en développement pour les principaux germes pathogènes entériques.


Janvier 2022

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