Comment s’articulent les enjeux épidémiologiques et médiatiques en période de crise sanitaire ? Comment faire le lien entre les propagations virales et informationnelles ? Plusieurs scientifiques, experts en communication ou éthiciens ont tenté d’apporter des éléments de réponse au cours d'un colloque organisé en décembre à l’Institut Pasteur.
Défini comme la circulation rapide d’un grand nombre d’informations, vraies ou fausses, le néologisme « infodémie » a gagné en popularité pendant la pandémie de Covid-19. Le 2 décembre 2022 s’est tenu à l’Institut Pasteur le colloque « Epidémie, pandémie… Infodémie : l’autre urgence sanitaire », organisé avec Université Paris Cité. Retour sur ce riche moment d’échanges à travers quelques pistes de réflexion et certaines des questions essentielles abordées durant cette journée.
Un colloque associant des experts de tous horizons
Pourquoi organiser un colloque sur l’infodémie associant sciences biologiques et sciences humaines et sociales ? L’idée de ce colloque a émergé lors de discussions régulières entretenues entre le département de Santé globale de l’Institut Pasteur et le Centre Virchow-Villermé d’Université Paris Cité. Les notions d’infodémie et d’infodémiologie historiquement abordées par les sciences de l’information et de la communication, ont été récemment mises en avant par l’OMS. Intéressante d’un point de vue épistémologique et de santé publique, cette analogie entre épidémie virale et épidémie d’informations a peu à peu abouti à l’idée d’un colloque pluridisciplinaire mêlant différents champs d’expertises et associant l’Institut Pasteur et le Centre Virchow-Villermé d’Université Paris Cité.
Questionner le terme « infodémie »
Quel regard critique porter sur le terme « infodémie » ? Est-il réellement pertinent ? Le colloque a décrit les changements drastiques concernant la circulation et la réception par le public des informations en matière de santé publique : une quantité massive d’informations diffusées largement en des temps très courts, notamment sur les réseaux sociaux, des contenus de tous types, sans filtre ni hiérarchie, avec un impact physique et mental sur la société. Ce nouvel écosystème informationnel qui s’est mis en place à travers le web 2.0 a changé la donne en altérant la parole publique. Les messages scientifiques, médicaux et de santé publique se sont trouvés mis à mal, noyés par l’affluence d’informations venant de toutes parts. Si un grand nombre d’informations véhiculées sont vraies ou sans danger, certaines sont fausses, trompeuses et parfois mêmes délibérément erronées. On parle alors de pathologie de l’information qui, selon les cas, recouvre les termes de mésinformation, désinformation, désordre informationnel, fake news, rumeur, diffamation, propagande, complotisme ou conspirationnisme. Le terme « infodémie » regroupe toutes ces notions. Pour autant, ses effets doivent être nuancés car les informations diffusées ne suscitent pas toujours l’approbation et sont même souvent sources de dérision. Les publics sont désormais plus vigilants. L’influence de l’infodémie apparaît donc relative dans certains domaines.
Les réseaux sociaux, un rôle à nuancer
Si le rôle des réseaux sociaux est souvent évoqué dans la désinformation de masse, n’a-t-on néanmoins pas trop tendance à minimiser l’importance des médias traditionnels et des situations d’échanges privés ? La compréhension de la déformation potentielle de l’information ne doit pas se limiter à l’étude des réseaux sociaux. Tout d’abord car la corrélation entre la diffusion de fake news sur les réseaux sociaux et l’augmentation de la méfiance à l’égard des autorités sanitaires, comme lors de l’hésitation vaccinale par exemple, n’est pas toujours démontrée. Ensuite, parce que d’autres facteurs d’influence entrent en jeu. La sphère familiale, l’entourage médical, le milieu social, culturel, professionnel ou encore les discours politiques ont un rôle déterminant dans la circulation d’informations et l’adoption de certains comportements. Les médias traditionnels -télévision, radio, presse- ont eux aussi une importance cruciale dans la propagation d’informations, et peuvent tout autant conditionner l’émergence de fake news. En conclusion, les réseaux sociaux ne sont pas seuls responsables de la désinformation, d’autres sphères d’influence agissent sur les choix des individus en matière de santé.
Un dialogue science/société à reconfigurer
La crise sanitaire et le manque relatif de confiance envers les institutions n’obligent-ils pas les scientifiques à créer de nouveaux espaces de dialogue et de partage avec la société ? Prévenir les impacts négatifs de l’infodémie engage la responsabilité des scientifiques et des personnels de santé. Il est essentiel de former les professionnels sur ces problématiques et de faciliter la compréhension et l’appropriation des messages par les publics visés. Préserver la qualité des relations avec le public, entretenir sa confiance et le sensibiliser à l’esprit critique, dans un esprit d’ouverture et de dialogue : toutes ces démarches s’avèrent capitales. Plus concrètement, les chercheurs et chercheuses doivent être mobilisés pour rendre accessibles les connaissances et créer des espaces de partage avec la société. Dans les laboratoires, musées, universités, lieux publics, culturels ou scolaires, les actions en ce sens sont nombreuses. Les scientifiques doivent rester à l’écoute de la société, comprendre les attentes de la population et savoir y répondre avec l’expertise qui est la leur, tout en faisant part de leurs controverses et en sachant exprimer les limites de leurs connaissances.
De la crise Covid à la crise climatique
Quelles sont les leçons communicationnelles de la crise Covid qui pourraient nous permettre de mieux appréhender une autre crise concomitante, par exemple celle du réchauffement climatique ? Pour une grande partie de la population occidentale, le changement climatique, pourtant maintenant largement documenté scientifiquement, apparaît comme un sujet complexe, abstrait, qui n’affecte pas encore le quotidien. La menace est aussi perçue de manière différente. Alors que la peur d'être contaminés par le virus affecte une grande partie des individus, le changement climatique n’est pas considéré comme contagieux. A l’inverse, de nombreux travaux montrent que l’argument de santé publique est l’un de ceux qui résonnent le plus fort auprès des populations, et qu’il est l’un des plus enclins à induire des changements de comportement. La manière d’aborder ces différents enjeux induit très fortement la perception de l'urgence et la volonté de réagir : fournir par exemple de nouveaux récits autour du changement climatique en qualifiant l'urgence environnementale d'urgence sanitaire permettrait notablement de réduire les barrières psychologiques. Ainsi l’attention des populations pourrait être favorisée en mettant l'accent sur les co-bénéfices directs de l'action climatique en faveur de la santé.
(NB : l’élaboration de ce texte a bénéficié de la collaboration d’Olivier Aïm, maître de conférences en Sciences de l'information et de la communication au Celsa ; Hervé Bourhy, directeur du département de Santé Globale à l’Institut Pasteur ; Anneliese Depoux, directrice du Centre Virchow-Villermé de Santé Publique Paris-Berlin de l’Université Paris Cité et Bérangère Virlon-Chadeau, manager du département de Santé Globale à l’Institut Pasteur)
Comment agir face aux fausses informations ? Un avis du CEIP. Dans un contexte général marqué par des changements technologiques et de comportements vis-à-vis de l’information, changements susceptibles d’augmenter la viralité, l’impact ou simplement le nombre de fausses informations, l’Institut Pasteur a choisi de mener une réflexion plus large sur ce phénomène à travers un avis de son Comité d’éthique (CEIP). Face aux fausses informations (fake news), le Comité d’éthique de l’Institut Pasteur (CEIP) soutient les actions d’ouverture vers la société, de médiation scientifique ou d’expertise publique engagées par l’institution ou par ses chercheurs. L’Institut Pasteur doit rester un interlocuteur de référence pour toutes les personnes en quête d’informations fiables et qui se trouvent occasionnellement exposées à des fausses informations, voire déstabilisées par elles. Montrer les métiers de la recherche, exposer les résultats scientifiques, être transparent sur les mesures mises en œuvre en matière d’éthique, d’intégrité et de conformité, doit permettre d’entretenir un niveau élevé de confiance et d’engagement du public (dont les donateurs et les volontaires) dans les recherches pasteuriennes ; expliquer la recherche, la raconter à des jeunes publics peut aussi susciter des vocations et surtout encourager l’esprit critique vis-à-vis des désinformations. Voici pour l’essentiel les actions que l’Institut Pasteur peut engager face à un phénomène qui touche plus largement la société dans un objectif de prévenir, ou d’atténuer, les effets de la circulation de fausses informations dans l’espace public. Si nécessaire, des actions en justice restent cependant possibles en cas de diffamation, pour protéger l’institution ou ses salariés. Les réflexions et recommandations du CEIP sur les fausses informations peuvent être trouvées dans un avis public accessible ici. |