Comment les transitions environnementales impactent notre santé ? Alors que les changements climatiques et environnementaux ont d’ores et déjà des impacts majeurs, mieux comprendre leurs conséquences sur notre santé s’avère crucial. Doté d’une expertise unique sur les maladies infectieuses et vectorielles, l’Institut Pasteur est pleinement engagé sur le sujet.
Tour d’horizon des différentes facettes des mutations écologiques en cours et de quelques recherches biomédicales qui y sont associées.
Tiques, moustiques, et autres vecteurs... - Les crises environnementales actuelles exacerbent les pathologies infectieuses, notamment les maladies vectorielles
Mpox - Histoire d’une émergence
- Déforestation et perte de biodiversité
- Fin d’une protection vaccinale historique
- Mobilité et comportements à risque
- Une nouvelle souche du virus
- Pourquoi est-il faux de parler de variole du singe ?
- Afripox : un projet de coopération productif
Hausse des tempréatures - Comment le changement climatique impacte notre organisme
La menace des champignons - Les pesticides favorisent l’émergence de résistances chez les champignons
- Qui sont les personnes susceptibles de contracter une infection grave liée à un champignon ? Et pourquoi y en a-t-il plus aujourd’hui ?
- Ces résistances sont-elles liées, comme les antibiorésistantes chez les bactéries, à un mauvais usage des antifongiques ?
- Alors, d’où viennent ces résistances ?
- Le réchauffement climatique joue donc aussi un rôle ?
- Existe-t-il des pistes de traitements prometteuses ?
La leishmaniose, ce n’est pas que pour les chiens
Les crises environnementales actuelles exacerbent les pathologies infectieuses, notamment les maladies vectorielles
Avec Sarah Bonnet, chercheuse INRAE au sein de l’unité Écologie et Émergence des Pathogènes Transmis par les Arthropodes (Institut Pasteur)
& Philippe Bastin, responsable de l’unité Biologie Cellulaire des Trypanosomes (Institut Pasteur) et coordinateur scientifique du centre de recherche sur les infections liées au climat et à l’environnement
Prenons un exemple : les pathologies transmissibles par les tiques. « Elles illustrent parfaitement le concept “One Health”, selon lequel la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes est interdépendante », explique Sarah Bonnet, directrice de recherche Inrae au sein de l’unité Écologie et émergence des pathogènes transmis par les arthropodes, à l’Institut Pasteur. Les tiques se nourrissent du sang de leurs hôtes vertébrés, qui peuvent être multiples et incluent l’être humain. C’est à la faveur de ces repas qu’elles vont acquérir, puis potentiellement retransmettre, des agents pathogènes (virus, bactéries ou parasites). Elles peuvent ainsi être les vecteurs d’agents responsables de maladies comme la borréliose de Lyme, l’encéphalite à tiques ou des rickettsioses. Ce risque n’est pas sans engendrer des questionnements complexes, par exemple autour de la végétalisation des zones urbaines. « Cette tendance, nécessaire pour l’adaptation au changement climatique, peut favoriser l’installation des tiques en ville », indique Sarah Bonnet. « Nous cherchons donc à caractériser ce risque et à identifier des solutions qui permettraient de le limiter. »
Valérie Choumet, chercheuse à l'Institut Pasteur, nous parle en 1 minute des avancées et récentes découvertes sur la Maladie de Lyme © Institut Pasteur
Des tiques exotiques sont aussi tenues à l’œil. « Certaines espèces, comme Hyalomma marginatum, responsable de la transmission du virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC), voyagent avec les oiseaux migrateurs », raconte Sarah Bonnet. « Jusque récemment, elles ne trouvaient pas en Europe les conditions adéquates pour s’installer malgré des importations régulières. Mais c’est en train de changer : les étés sont plus longs et plus secs, les hivers plus doux. Des populations de H. marginatum se sont maintenant acclimatées au sud de la France, où le virus FHCC, qu’on pensait circonscrit aux pays tropicaux, a été détecté en 2023. »
Un nouvel élan pour la recherche
L’Institut Pasteur se dotera à l’horizon 2028 d’un centre de recherche sur les infections liées au climat et à l’environnement, très attendu pour étudier ce type d’agents pathogènes. Ses quatre laboratoires de haute sécurité (P3) permettront d’élever et d’infecter des vecteurs de virus, bactéries ou parasites comme les moustiques ou les tiques, d’espèces différentes, pour les étudier dans toutes leurs dimensions (génétiques, comportementales…). « Quinze équipes seront rassemblées dans ce bâtiment unique en Europe », se réjouit Philippe Bastin, responsable scientifique du projet. « Objectif : être encore plus réactifs face aux risques de nouvelles épidémies. »
Histoire d’une émergence
Avec Antoine Gessain, responsable de l’unité Epidémiologie et Physiopathologie des Virus Oncogènes (Institut Pasteur).
Cette maladie, anciennement appelée variole du singe, a surgi dans notre actualité en 2022, quand elle a commencé à s’exporter hors du continent africain. Par la rapidité avec laquelle elle s’est propagée, et l’inquiétude qu’elle a soudainement suscitée, on aurait pu croire qu’elle venait d’émerger. Or le premier cas identifié date de 1970. Comme beaucoup de zoonoses, c’est-à-dire des maladies véhiculées par des animaux, le mpox n’aurait peut-être jamais contaminé des êtres humains si plusieurs changements environnementaux n’avaient pas favorisé les contacts avec la faune sauvage.
Déforestation et perte de biodiversité
L’Afrique centrale abrite la deuxième plus grande forêt tropicale au monde et, comme toutes les autres, celle-ci est sous pression. D’un côté, le réchauffement climatique reconfigure ses écosystèmes, conduisant la faune à se déplacer. De l’autre, la surexploitation du bois et la pratique d’une agriculture itinérante n’ont cessé de grignoter ses bordures. Résultat : une partie des animaux sauvages, qui vivait jusque récemment à bonne distance des humains, s’est retrouvée à portée d’eux. À cela s’ajoute la disparition progressive des gros gibiers, dont la chasse ne sert plus seulement à nourrir les villages alentours mais aussi à alimenter les marchés urbains. Pour leur apport en protéines animales, la population a dû se rabattre sur des petits mammifères. Des rongeurs par exemple, dont plusieurs écureuils arboricoles sont suspectés d’être des réservoirs du MPXV, le virus responsable de la maladie mpox. En les chassant, ou en cueillant des fruits qu’ils auraient pu contaminer, des personnes se retrouvent infectées. Elles transmettent ensuite la pathologie aux proches avec lesquels ils partagent le même toit.
« Le mode de transmission se fait avant tout par contact direct et rapproché avec les lésions cutanées des patients ou avec des objets contaminés, notamment de la literie », explique Antoine Gessain, médecin et virologue à l’Institut Pasteur. C’est pourquoi, pendant plusieurs décennies, malgré la survenue régulière de flambées épisodiques dans des villages péri-forestiers, le mpox ne s’était jamais transformé en pandémie.
Dans deux des pays les plus endémiques, la République démocratique du Congo (RDC) et la République centrafricaine (RCA), un autre facteur a contribué à la multiplication des contaminations : les conflits armés, quels que soient leur durée. Les combats poussent les populations à fuir les villages pour se réfugier dans les forêts, au plus près des réservoirs animaux du virus, et compliquent la prise en charge des malades.
Fin d’une protection vaccinale historique
Le mpox est cliniquement apparenté à la variole humaine. La maladie présente des symptômes assez similaires : un état grippal (fièvre, frissons, courbatures, céphalées, fatigue), des éruptions cutanées de type vésicules ou pustules, ainsi qu’un gonflement des ganglions lymphatiques.

Elle est beaucoup moins mortelle que sa cousine, mais elle est invalidante et elle peut entraîner le décès des plus vulnérables, surtout dans les zones trop éloignées des infrastructures médicales pour que les complications possibles puissent être traitées à temps : surinfection de la peau, septicémie, encéphalite, difficultés respiratoires… Or de moins en moins de personnes sont immunisées contre ce virus. Pendant des années, les enfants recevaient systématiquement le vaccin contre la variole humaine, jusqu’à ce que celle-ci soit déclarée éradiquée, en 1980. Or les études ont montré que le vaccin contre la variole protégeait aussi, à 85 %, contre le mpox. Toutes les générations nées après 1980 ne l’ayant pas reçu, elles sont plus susceptibles de contracter le mpox et de le propager. Or, elles représentent une part croissante de la population.

Mobilité et comportements à risques
L’inquiétude est montée d’un cran quand le virus a commencé à s’exporter dans d’autres pays. Une flambée notable, en 2017 au Nigéria, a particulièrement attiré l’attention : pour la première fois, le virus était signalé dans de grandes agglomérations, notamment à Lagos, avec tous les risques que représente l’arrivée d’une infection contagieuse dans une zone densément peuplée, dont les habitants sont plus à même de voyager. C’est ainsi que la pathologie est sortie du continent en 2022, déclenchant une pandémie dans une centaine de pays, dont la France. En à peine six mois, le virus a affecté plus de 84 000 personnes dans le monde (1).
Comment expliquer que, cette fois-là, l’étincelle ait pris, alors que le mode de transmission du virus, par contact direct avec une peau lésée, n’a pas changé ? « Il s’est mis à circuler au sein de communautés favorables à sa propagation : les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) et de multiples partenaires, ou encore les travailleurs du sexe », explique Antoine Gessain. « Cela est devenu évident quand les malades ont été de plus en plus nombreux à présenter des lésions cutanées autour des zones génitales, anales et/ou buccales. » Ces lésions cutanées peuvent démanger, or le grattage favorise les infections bactériennes. Elles peuvent surtout être si douloureuses, par leur localisation, que seuls de puissants antalgiques aident à les supporter.
Grâce à une campagne de sensibilisation et de vaccination ciblée, mais aussi à une forte implication des associations actives auprès des populations à risque, l’épidémie a pu être contenue en quelques mois dans la plupart des pays. Le fait qu’un vaccin existait déjà a aussi joué.
Une nouvelle souche du virus
Aujourd’hui, l’épidémie de 2022 semble déjà loin. Mais la maladie continue de circuler. Des chasseurs, incluant des enfants, continuent d’être infectés par des réservoirs animaux dans les zones endémiques. Surtout, une nouvelle épidémie a surgi début 2024 dans l’est de la RDC, qui se propage cette fois par transmission hétérosexuelle. Partie d’une communauté minière, elle s’est déjà largement diffusée dans des États limitrophes, et compte déjà quelques cas exportés, identifiables parce qu’ils appartiennent à une souche légèrement différente du virus. Hors d’Afrique, une quinzaine de pays, en Europe, en Asie et en Amérique, l’ont déjà détectée entre l’alerte lancée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en août 2024 et mars 2025 (2).
Emmanuel Nakouné, virologue à l'Institut Pasteur de Bangui, nous explique en 2 minutes l'histoire du mpox et les récentes découvertes © Institut Pasteur
En France, la vigilance reste de mise : 215 cas de mpox ont été déclarés en 2024 (3). Surtout, le nombre des contaminations semble augmenter : 23 cas ont été déclarés rien que sur les deux premiers mois de l’année 2025 (4). C’est sans commune mesure avec les près de 5 000 cas survenus lors du pic de 2022, mais cela pourrait être plus que les 52 cas déclarés en 2023. Santé publique France rappelle que seules 177 626 doses de vaccin ont été administrées depuis 2022 (3), alors que la population à risque est estimée à 250 000 personnes dans le pays et qu’il faudrait deux doses pour une immunisation efficace.
Pour en savoir plus
Monkeypox, article signé Antoine Gessain, Emmanuel Nakoune et Yazdan Yazdanpanah, dans le New England Journal of Medicine en 2022
Pourquoi est-il faux de parler de variole du singe ?
Le MPXV a été découvert en 1958 chez des singes de laboratoire. D’où le premier nom qui lui avait été donné : variole du singe. Mais si les primates peuvent être infectés par ce virus, ils n’en sont pas le réservoir naturel. Celui-ci serait plutôt un écureuil appelé Funisciurus anerythrus. Des scientifiques de l’Institut Pasteur de Paris et du Musée national d’Histoire naturelle ont mis en évidence une forte corrélation entre les aires de répartition de ce rongeur et les lieux de contamination.
Afripox : un projet de coopération productif
L’Institut Pasteur de Paris et celui de Bangui, en RCA, ont lancé un projet commun de recherche sur le mpox en 2019. Baptisé Afripox, celui-ci a permis plusieurs découvertes. Les scientifiques ont pu expliquer l’émergence de la maladie et son évolution. Ils ont identifié l’un des réservoirs animaux les plus probables. Ils sont en train de valider en laboratoire et sur le terrain de nouveaux tests diagnostiques rapides, utiles pour les zones reculées, et ils ont développé de nouvelles méthodes de séquençage pour un meilleur suivi des différents clades.
Comment le changement climatique impacte notre organisme
Avec Darragh Duffy et Elizabeth Maloney - Unité Immunologie translationnelle (Institut Pasteur).
Avec la hausse globale des températures, les épisodes caniculaires se multiplient et s’intensifient. Quelles en sont les conséquences directes sur l’organisme humain ?
Tour d’horizon, sous forme de VRAI ou FAUX.
+2°C, ça va ?
FAUX. La France se réchauffe plus vite que la moyenne mondiale. Si la tendance se poursuit, son climat atteindra +2°C en 2030 par rapport au début du 20e siècle, puis +2,7°C en 2050 et +4°C en 2100. Sachant que nous sommes déjà à +1,7°C (1), il est tentant de penser que la différence sera minime. Ce serait oublier que les canicules, qui tuent aujourd’hui plus de 176 000 personnes par an en Europe (2), vont se multiplier, s’allonger et s’intensifier. Les journées à plus de 40°C vont devenir la norme, tout comme les nuits dites « tropicales », à plus de 20°C. Sans répit, les mécanismes de thermorégulation du corps humain risquent de se trouver plus vite débordés. Or le système nerveux central montre des signes de souffrance quand il est chauffé à plus de 41-42°C : céphalées, vertiges, nausées, somnolence, perte de connaissance… Si l’hyperthermie se prolonge, les organes défaillent à leur tour, mettant en jeu le pronostic vital.
Seules les personnes âgées sont concernées ?
FAUX. Les plus de 75 ans représentent la majorité des passages aux urgences et des décès liés à la chaleur, suivis de près par les enfants en bas âge, les femmes enceintes et les personnes affaiblies par une maladie. Mais plus l’intensité des canicules augmente, plus la part de la population affectée s’accroit, y compris chez les jeunes en bonne santé. Plusieurs autres groupes sont particulièrement vulnérables : les personnes à bas revenus, qui n’ont pas les moyens de vivre dans des logements bien isolés, et les femmes. Celles-ci voient leurs bouffées de chaleur devenir plus fréquentes et sévères avec le réchauffement climatique, car leur système de refroidissement interne se déclenche plus vite, ce qui fatigue leur organisme. Résultat : lors de la canicule de 2003, elles ont eu une mortalité 15% plus élevée que les hommes après 55 ans (Inserm, 2006). Les personnes qui travaillent en extérieur sont également plus impactées, surtout si leurs horaires ne sont pas adaptés lors des canicules.
Un peu de chaleur, c’est bon pour le moral ?
ÇA DÉPEND. Quand il fait 25°C, c’est vrai. On peut profiter du beau temps sans risque d’inconfort. Mais, quand il fait très chaud, la sensation de fournaise, la soif, la fatigue que représente chaque effort physique, la difficulté à se concentrer… sont autant de facteurs de stress et d’irritabilité. L’impact sur la santé mentale est encore aggravé par le manque de sommeil lié à des nuits trop chaudes, ou par l’éco-anxiété face à cette conséquence concrète du changement climatique.
La chaleur affecte le système immunitaire ?
VRAI. La fièvre étant un mécanisme de défense efficace contre de nombreuses maladies, on pourrait croire que l’augmentation des températures ambiantes serait une alliée, que cela boosterait nos lymphocytes. Or ce n’est pas le cas. Une étude a récemment montré que le réchauffement climatique, et les risques qui y sont liés, augmente la sévérité de 58 % des infections (5). Cela s’expliquerait par une pression accrue sur les ressources métaboliques de l’organisme, puisque la fièvre et la lutte contre l’hyperthermie consomment toutes deux beaucoup d’énergie et d’oxygène, mais aussi par le stress, dont on sait depuis longtemps qu’il est lié à une baisse de l’immunité, et par d’autres mécanismes qui demandent encore à être élucidés.
On ne peut rien y faire ?
FAUX. Tous les impacts sanitaires précités soulignent l’importance de lutter contre le changement climatique, pour limiter au maximum la hausse des températures, mais aussi de définir une stratégie d’adaptation, au niveau national et territorial (6).
Rappel des sources signalées dans les réponses :
- Météo France, 2025
- ONU, 2024
- Deciphering the relationship between temperature and immunity, 2024, Vol.3, No.1
- Inserm, 2006
- Over half of known human pathogenic diseases can be aggravated by climate change, Nature Climate Change, 2022
- Le 3e plan national d’adaptation de la France au changement climatique, 2025
Les pesticides favorisent l’émergence de résistances chez les champignons
Avec : Sarah Dellière - Unité d'Immunologie des infections fongiques (Institut Pasteur).
Jusque récemment, les infections fongiques étaient surtout craintes des patients ayant des systèmes immunitaires défaillants. Mais, depuis quelques années, les rares champignons pathogènes capables d’infecter des immunocompétents voient leurs aires de répartition s’élargir, tandis que d’autres deviennent résistants aux traitements.

Qui sont les personnes susceptibles de contracter une infection grave liée à un champignon ? Et pourquoi y en a-t-il plus aujourd’hui ?
Sarah Dellière : L’être humain a toujours été entouré de champignons. Des levures font partie de nos flores et nous respirons des moisissures constamment. Mais notre système immunitaire les tolère ou les détruit. Les malades du sida, les patients ayant reçu une greffe ou ceux qui ont un cancer du sang, parce qu’ils sont immunodéprimés, sont plus vulnérables. Les médecins le savent et font le maximum pour prévenir les infections opportunistes. En revanche, d’autres cas sont plus difficiles à anticiper. Certains médicaments, contre des cancers, des maladies auto-immunes ou des pathologies inflammatoires, sans supprimer toute l’immunité des patients, s’attaquent à des voies de l’immunité qui, au-delà de leur mauvais rôle dans la pathologie traitée, étaient utiles face aux champignons pathogènes. On ne s’en rend compte qu’après commercialisation. Cela devient d’autant plus problématique qu’on voit émerger, en parallèle, des espèces résistantes aux traitements.
Ces résistances sont-elles liées, comme les antibiorésistantes chez les bactéries, à un mauvais usage des antifongiques ?
S. D. : C’est probablement le cas de Trichophyton indotineae, apparu en Inde il y a une dizaine d’années, responsable d’une mycose étendue de la peau. Mais c’est rare.
Alors, d’où viennent ces résistances ?
S. D. : Il existe peu de familles de molécules efficaces contre les champignons. Ce sont donc les mêmes qu’on utilise en médecine et en agriculture. Les azolés notamment, car ils ont un large spectre d’action. Et c’est bien là le problème : quand on les épand dans les champs, ils s’attaquent aussi bien au mildiou qu’à des champignons inoffensifs pour les plantes. À force, des résistances aux azolés à la fois agricoles et médicaux peuvent émerger. Cela a été le cas chez Aspergillus fumigatus, un champignon qui, présent dans l’environnement, ne menace aucune culture mais peut s’attaquer aux poumons des patients immunodéficients. Certaines de ses souches sont devenues résistantes aux médicaments de première intention, et les autres traitements, toxiques pour l’être humain, n’offrent pas une alternative idéale.
Candida auris, lui, a été identifié pour la première fois en 2009. Cette nouvelle espèce semble avoir été sélectionnée par l’abus de pesticides, la pollution et le réchauffement climatique. En effet, elle est résistante aux antifongiques, supporte la pollution et survit à plus de 40°C. Elle est devenue le cauchemar des hôpitaux dans certaines régions du monde car elle peut profiter d’une chirurgie ou de la pose d’un cathéter pour infecter le sang et déclencher une candidémie, version fongique de la septicémie.
Le réchauffement climatique joue donc aussi un rôle ?
S. D. : Il favorise la sélection de souches pouvant se répliquer dans des zones plus chaudes, donc aussi tolérer la chaleur du corps humain. Il a par ailleurs permis à certaines espèces d’étendre leurs territoires. Ainsi, Coccidioides, responsable de la « fièvre de la vallée » chez des patients sans déficit immunitaire, a longtemps été circonscrit aux régions sèches d’Arizona. Il est aujourd’hui signalé jusqu’au Canada.
Existe-t-il des pistes de traitements prometteuses ?
S. D. : Nous travaillons sur de nouvelles classes d’antifongiques et sur des stratégies pour booster l’immunité. Dans le cas de l’aspergillose par exemple, nous avons découvert que certaines protéines de l’immunité étaient manquantes chez les patients infectés : elles semblent consommées par l’arrivée du champignon et/ou en quantité insuffisante alors qu’elles permettent d’inhiber la pousse d’Aspergillus ou de stimuler la réponse immunitaire. Il pourrait être utile de les administrer en prévention ou en traitement chez les personnes immunodéprimées.
Interview de Sarah Dellière, chercheuse au sein de l’unité Immunologie des infections fongiques. Crédit : Institut Pasteur

La leishmaniose, ce n’est pas que pour les chiens
Avec : Gérald Spaeth - Unité de Parasitologie moléculaire et Signalisation
Plus connue en Europe comme une pathologie canine, la leishmaniose peut aussi affecter les humains. Présentation de cette maladie parasitaire, transmissible par des insectes appelés phlébotomes, ou « mouches des sables », avec Gerald Spaeth, responsable de l’unité Parasitologie moléculaire et signalisation.
Trois formes cliniques
La leishmaniose cutanée, la plus fréquente, se caractérise par des lésions ulcérées sur les parties découvertes du corps. Ces lésions guérissent en général spontanément, mais peuvent laisser des cicatrices.
La leishmaniose cutanéomuqueuse, qui détruit les muqueuses de la bouche, du nez et de la gorge, ne guérit pas spontanément. Elle peut défigurer.
La leishmaniose viscérale se manifeste par une fièvre, une anémie, un amaigrissement, un gonflement du foie, de la rate et des ganglions lymphatiques. Aussi appelée kala-azar (« fièvre noire » en Hindi), elle est fatale dans 95 % des cas en l’absence de traitement.
Mode de transmission
La leishmaniose n’est pas contagieuse entre humains, ni même entre un chien et son maître. Elle est contractée par un individu quand un phlébotome femelle, contaminé, le pique pour se nourrir de son sang. Le parasite est vite capturé par des macrophages. Mais ces cellules du système immunitaire, dont le rôle est en principe d’éliminer les microbes, sont leurrées par le parasite. Au lieu de le détruire, elles l’hébergent et le laissent se multiplier, causant à terme la maladie. C’est en pompant le sang d’un malade, et avec lui des macrophages parasités, que le phlébotome se contamine.
Diagnostic et traitements
Le diagnostic repose sur un examen clinique, complété par des tests parasitologiques. En cas de suspicion de forme viscérale, un test sérologique est aussi réalisé pour confirmation. Les traitements, par injections ou par voie orale, durent plusieurs semaines. Parfois, ils n’éliminent pas entièrement le parasite. En cas d’affaiblissement du système immunitaire, une rechute est alors possible.
Facteurs de risques
Les populations précaires sont les plus touchées. L’insalubrité, le manque d’infrastructures d’assainissement et l’accumulation de déchets favorisent les sites de reproduction des phlébotomes. Mais l’infection n’évolue pas forcément vers la maladie. Ce risque s'accroît en cas de malnutrition ou de co-infections affaiblissant le système immunitaire (VIH/SIDA, etc.).
Répartition géographique
Les Leishmania sont endémiques dans 99 pays, surtout en Asie du Sud-Est, en Amérique du Sud et en Afrique (1). La déforestation facilite leur transmission en rapprochant les humains des réservoirs animaux. Le réchauffement climatique, quant à lui, favorise la progression des phlébotomes vers le Nord. Résultat : des cas de leishmaniose sont désormais recensés en France, du Languedoc à la Corse, en passant par la Provence et la Côte d’Azur.
Prévention
Il n’y a pas encore de vaccin ou de traitement prophylactique. Seule une prise en charge précoce, chez l’être humain comme chez les animaux, permet de limiter le nombre de réservoirs du parasite, donc sa propagation.
Quelques sources (également pour les chiffres ci-dessous) :