Louis Pasteur : un héritage universel
Cette année sera célébré le bicentenaire de la naissance de Louis Pasteur. Sa renommée n’est plus à faire. Rues, boulevards, écoles portent aujourd’hui son nom, en France et dans le monde. Son héritage immense s’invite jusque dans nos maisons, avec les produits « pasteurisés » dérivés d’une de ses découvertes. Il en va de même pour l’hygiène, tant renforcée en ces temps de pandémie, et dont il posa les bases scientifiques. Lui-même évitait d’ailleurs de serrer les mains, et les lavait aussitôt lorsqu’il avait dérogé à sa règle… Si Louis Pasteur est célèbre pour son vaccin contre la rage, qui lui valut le qualificatif de « bienfaiteur de l’humanité », l’ampleur de son œuvre scientifique est moins connue, alors qu’elle impacte aujourd’hui encore notre vie quotidienne, la recherche et la médecine. Tour d’horizon.
Dessin réalisé par l’artiste Fabrice Hyber.
Des molécules aux ferments
Louis Pasteur n’était pas médecin mais chimiste. Et c’est dans son domaine qu’il fera sa première grande découverte, la dissymétrie moléculaire. En montrant qu’il existe deux types de tartrate, de même composition mais différents par leur forme, chacune étant comme l’image de l’autre dans un miroir, il bouleverse la perception des molécules, désormais vues comme des objets à trois dimensions. S’il peut nous paraître abstrait, ce premier succès scientifique posa les premières bases de la renommée de Louis Pasteur. Il s’attaque ensuite aux fermentations, auxquelles des micro-organismes, les « ferments », avaient été associés sans que leur rôle soit connu. Pasteur l’élucide en 1857 et déclare que « la fermentation, loin d’être un processus de mort, est un processus de vie. » Il montre que les fermentations sont causées par des microbes et qu’à chacune correspond un microbe spécifique : celui déclenchant la fermentation lactique, servant à la fabrication du fromage, diffère de celui guidant la fermentation alcoolique, dans la fabrication du vin ou de la bière. Cette découverte révolutionnera l’industrie agro-alimentaire, qui utilisera peu à peu des souches sélectionnées de levures et autres micro-organismes pour ses productions.
Matériel utilisé par Louis Pasteur pour ses travaux sur la cristallographie : microscope de minéralogiste, modèle en bois, liège et carton et flacons contenant des cristaux. |
L’ancien Hôpital pasteur, aujourd’hui Pavillon Louis Martin. Les balcons permettaient de circuler à l’air libre entre les chambres. |
Si la « pasteurisation » s’est peu à peu implantée pour être aujourd’hui un standard de l’hygiène alimentaire, la contribution de Louis Pasteur à l’hygiène ne s’arrête pas là. Au XIXe siècle dans les services de chirurgie, 4 décès sur 5 sont dus à une infection. Après avoir lu les travaux de Pasteur sur la fermentation, le chirurgien anglais Joseph Lister est convaincu que l’infection postopératoire – nommée à l’époque pourriture ou putréfaction – est due à des organismes microscopiques. Il décide de laver les blessures de ses opérés à l’eau phéniquée, et publie sa méthode en 1867 en se référant aux travaux de Pasteur. L’antisepsie est née. Pasteur va plus loin en demandant aux chirurgiens de se laver les mains entre chaque opération et de stériliser linges, pansements et instruments : c’est l’asepsie, apport majeur du savant à l’hygiène hospitalière. Alors que sa théorie microbienne des maladies se précise, il préconise également l’isolement des malades contagieux dès leur entrée à l’hôpital dans des pavillons réservés chacun à une seule maladie, ce qui conduit à la construction d’hôpitaux « pavillonnaires » dès 1880. À travers ses découvertes, ses méthodes et ses conseils, Louis Pasteur fut donc l’un des pionniers de l’hygiène et ses préceptes sont toujours vivaces dans nos gestes quotidiens (lavage des mains).
Si Pasteur avait été chirurgien
C’est par ces mots, prononcés à l’Académie des sciences le 29 avril 1878, que Louis Pasteur préconisait l’asepsie : « Si j’avais l’honneur d’être chirurgien, pénétré comme je le suis des dangers auxquels exposent les germes des microbes répandus à la surface de tous les objets, particulièrement dans les hôpitaux, non seulement je ne me servirais que d’instruments d’une propreté parfaite, mais après avoir nettoyé mes mains avec le plus grand soin et les avoir soumis à un flambage rapide. (…) Je n’emploierais que de la charpie, des bandelettes et des éponges, préalablement exposées dans un air porté à la température de 130 à 150 ° ; je n’emploierais jamais qu’une eau qui aurait subi la température de 100 à 120°… »
Naissance de la microbiologie
Le Mémoire sur la fermentation appelée lactique alors publié par Louis Pasteur est de plus considéré comme l’acte de naissance de la microbiologie. En 1858, il installe son laboratoire dans les combles de l’École normale supérieure rue d’Ulm et débute ses recherches sur les générations dites « spontanées ». Beaucoup pensaient alors que la vie apparaissait « spontanément » à partir de la matière organique. Il faudra de multiples expériences et de nombreuses batailles pour que Pasteur réfute cette théorie.
Ballons à col de cygne utilisés par Louis Pasteur pour démontrer que la théorie de la génération spontanée était impossible, 1878. Crédit : Institut Pasteur/Musée Pasteur |
Une de ses démonstrations utilise un ballon à col-de-cygne et montre qu’un liquide nutritif en équilibre avec l’air ambiant reste stérile tant qu’on le protège des poussières de l’air extérieur. À leur contact, en revanche, des micro-organismes se multiplient. Louis Pasteur finira par imposer sa théorie des germes, non sans mal car au-delà de la science, elle touche à la philosophie et aux croyances. Il explorera ensuite comme nul autre le monde des microbes, montrant qu’ils sont partout, dans l’air, dans l’eau, sur les objets qui nous entourent, et élucidera leur rôle : dans les fermentations mais aussi dans la putréfaction, qui permet le recyclage naturel des éléments du vivant, et plus tard dans des maladies chez les animaux et chez les humains.
Maladies des vins, maladies des vers
Un trait caractéristique de Pasteur est qu’il sera appelé à résoudre des problèmes très concrets dans différents domaines. En 1863, Napoléon III lui demande ainsi d’étudier les maladies des vins. Les vins se gâtent, tournent, problème majeur alors qu’un traité vient d’intensifier l’exportation des vins français vers l’Angleterre. Louis Pasteur observe là encore que des microbes sont en cause et, pour stopper les contaminations, propose de chauffer le vin entre 60 et 100°C après la fermentation ; un procédé nommé par d’autres « pasteurisation » (voir encadré « pasteurisation », ci-dessous). En 1865, il est à nouveau appelé à la rescousse par un de ses anciens professeurs, chimiste devenu sénateur du Gard : il s’agit cette fois de sauver la sériciculture menacée par des maladies touchant les vers à soie. Installant un laboratoire dans les Cévennes, Louis Pasteur constate que les vers sont atteints de deux maladies, la pébrine et la flacherie, puis montre comment les prévenir, en sélectionnant les œufs sains pour l’une et par des mesures d’hygiène dans les élevages pour l’autre. Il sauve ainsi l’industrie de la soie en France et à l’étranger, et cette étude guidera ses recherches ultérieures de maladies contagieuses chez des animaux. Il mènera aussi des études sur la bière, recommandant des techniques de surveillance des fermentations au microscope, qui seront appliquées dans de nombreuses brasseries. Ces travaux très utiles et ceux qui vont suivre résonnent encore dans une célèbre phrase de Louis Pasteur :
Il y a la science et les applications de la science, liées entre elles comme le fruit à l’arbre qui l’a porté.
La « pasteurisation » fait aujourd’hui partie de notre quotidien, permettant la conservation du lait, de fromages, des jus des fruits, des concentrés de tomates, ou encore de la bière et du cidre. Mais l’histoire de ce procédé a commencé avec un problème très précis, et très français : celui de la conservation des vins. En 1863, les viticulteurs français font face à une situation délicate : leurs vins exportés en masse vers la Grande-Bretagne sont souvent imbuvables à leur arrivée, comme affectés par une étrange maladie. L’enjeu économique est tel que l’Empereur Napoléon III fait appel à Louis Pasteur, connu pour ses travaux sur la fermentation alcoolique, afin de « rechercher les causes des maladies des vins et les moyens de les prévenir ». C’est dans les vignobles de son enfance, à Arbois dans le Jura, que Louis Pasteur débute ses travaux sur les vins. Installé dans un laboratoire de fortune, il prouve que les maladies des vins résultent de la présence de microbes contaminants. Il faut donc empêcher ou arrêter le développement de ces germes néfastes. Le 11 avril 1865, Pasteur dépose un brevet « pour un procédé relatif à la conservation des vins » : « Le vin ne s’abîme pas si les microbes sont tués auparavant. Un moyen simple et pratique consiste à chauffer le vin à une température comprise entre 60° et 100° ». Si le principe de chauffage était connu de longue date, Louis Pasteur le transforme en un procédé scientifique, aux bases théoriques claires, faisant du vin « la plus saine et la plus hygiénique des boissons. » Sa « pasteurisation » (terme apparu pour la première fois en Allemagne ou en Hongrie vers 1867) se répand comme une traînée de poudre à travers l’Europe, et des appareils de tous types fleurissent, jusqu’aux applications industrielles au début du XXe siècle. La méthode n’est plus guère utilisée pour le vin, car elle peut en altérer le goût. Mais elle a trouvé sa pérennité dans la conservation de la bière (la Carlsberg fut la première bière pasteurisée), et surtout du lait, sur la préconisation d’un chimiste allemand en 1866, s’étendant progressivement à un grand nombre de boissons et d’aliments.
Jubilé de Louis Pasteur à la Sorbonne, en 1892. Crédit : Institut Pasteur
endif; ?>Edward Jenner a inventé la vaccination, Louis Pasteur a inventé les vaccins.
Louis Pasteur est-il le premier à avoir travaillé sur la vaccination ?
Bien avant Louis Pasteur, un médecin anglais, Edward Jenner, chercha un moyen d’immuniser contre la variole, qui faisait des ravages à l’époque. Il montra dès 1796 qu’on pouvait protéger de l’infection en inoculant le contenu des pustules d’une maladie bénigne des vaches très similaire, appelée vaccine. Pasteur supposa que le virus de la vaccine devait être une forme atténuée du virus de la variole et il se dit que, peut-être, on pourrait immuniser contre d’autres maladies grâce à une variété atténuée du microbe responsable. En 1879, un peu par hasard, il obtint une variété atténuée de la bactérie responsable du « choléra des poules ». Cette bactérie atténuée, non seulement ne tuait pas les poules mais elle les protégeait aussi contre les souches virulentes. Il appliqua ensuite la méthode à d’autres bactéries, dont celle du charbon du mouton, ce qui le conduisit à la célèbre démonstration de Pouilly-le-Fort en juin 1881 : il immunisa 25 moutons, qui survécurent à l’inoculation du bacille du charbon, tandis que 25 autres non « vaccinés » moururent. C’est ainsi que Pasteur commença à convaincre le public qu’on pouvait protéger d’une maladie en inoculant le microbe atténué. Il présenta ses travaux au grand congrès de médecine de 1881 à Londres, et baptisa son procédé « vaccination », en hommage à Jenner. Mais c’est bien Louis Pasteur qui comprit comment mettre au point les vaccins.
Pourquoi Louis Pasteur a-t-il travaillé sur la rage ?
Malgré ses succès avec des maladies animales, Pasteur comprit qu’il lui faudrait s’attaquer à des maladies humaines pour assurer un succès définitif à ses théories. La rage semblait un excellent candidat, car elle pouvait être étudiée chez les animaux. Surtout, même si elle n’était pas si fréquente, elle avait un impact psychologique fort sur la population, du fait des conditions horribles dans lesquelles les personnes atteintes décédaient. L’étude d’un microbe que Pasteur ne pouvait ni voir ni cultiver (c’était en réalité un virus et non une bactérie), fut ardue. Cependant il parvint à le conserver en le transmettant de lapin en lapin, et à l’atténuer, du moins le pensait-il – voir plus loin –, en suspendant des moelles épinières de lapins enragés dans un flacon, tapissant le fond de potasse afin de les assécher. Il immunisa alors des chiens en inoculant d’abord une moelle ayant séché 14 jours, puis le lendemain une moelle de 13 jours et ainsi de suite. La rage mettant en général plusieurs semaines à se déclarer après la morsure d’un chien enragé chez l’homme, il était envisageable d’immuniser celui-ci rapidement après la morsure, avant que le virus n’arrive au cerveau. Le 6 juillet 1885, malgré des réserves, Pasteur accepte de traiter Joseph Meister, jeune alsacien mordu 14 fois, vacciné par le Dr Grancher. Quelques mois plus tard, les 26 et 27 octobre, il déclare aux Académies des sciences et de médecine qu’il a « vaincu la rage » alors que commence le traitement d’un autre enfant, Jean-Baptiste Jupille. Le 1er mars 1886, Pasteur annonce qu’il a fait vacciner 350 personnes, avec un seul échec.
Quelles furent les retombées scientifiques de ces découvertes ?
Un point très important est que Pasteur s’est rapidement rendu compte que ce n’était pas un microbe vivant atténué qu’il inoculait, comme dans ses vaccins vétérinaires précédents. Dans le cas de la rage, le virus était tué. Pasteur, en comprenant que, selon les cas, on pouvait vacciner, soit avec des microbes vivants atténués, soit avec des microbes tués, ouvrit la voie à la mise au point de vaccins contre de nombreuses maladies, ce qui permit de sauver des millions de vies. Les vaccins vivants atténués ont été utilisés par exemple contre la tuberculose, la rougeole ou les oreillons, tandis que les vaccins basés sur un microbe tué ont servi à lutter contre la rage, la typhoïde, la grippe ou encore l’hépatite A. Par la suite on découvrit que dans certains cas, on pouvait vacciner en inoculant une molécule provenant du microbe (diphtérie, tétanos, hépatite B, etc.)
Pour en savoir plus
Le Pr Maxime Schwartz est l’auteur du livre Pasteur, l’homme et le savant (voir plus bas).
C’est Pasteur, en comprenant le principe de l’immunisation par inoculation de microbes non virulents, qui ouvrit la voie à la mise au point de vaccins contre de nombreuses maladies.
Pr Maxime Schwartz
L’ultime couronnement
Dans ce fameux portrait réalisé par Albert Edelfelt en 1886, Louis Pasteur tient un flacon contenant une moelle épinière de lapin enragé.
Gérard Eberl
Responsable de l’unité Microenvironnement et immunité
Pour paraphraser Louis Pasteur : l’esprit pasteurien, c’est être préparé à ce que la chance nous sourit.
C’est l’enthousiasme et la curiosité qui, combinés à une exigence de rigueur, ont souvent permis de repousser les limites de notre connaissance. C'est aussi une ouverture permanente au monde et à la société, à travers le réseau international et ses missions de santé publique.
Lulla Opatowski
Responsable du groupe Modélisation dans l’unité Epidémiologie et modélisation de la résistance aux antimicrobiens
Laure Bally-Cuif
Directrice du département Biologie du développement et cellules couches, et responsable de l'unité de Neurogénétique du poisson zébré
C’est mesurer l’importance de l’observation. Car si les connaissances et le raisonnement guident nos choix scientifiques, la description précise d’un phénomène permet la découverte d’exceptions qui dépasseront toujours nos hypothèses.
C’est une certaine façon de faire de la science, en considérant que le savoir dans sa forme la plus simple est un don magnifique, à l’impact inattendu.
Shahragim Tajbakhsh
Responsable de l'unité Cellules souches et développement
Olivier Schwartz
Responsable de l'unité Virus et immunité
C'est chercher à comprendre le fonctionnement du vivant afin d'améliorer la santé humaine ; rester curieux, ouvert vers le monde, ambitieux et collaboratif. Un travail d'équipe !
C’est une ouverture vers le monde, dans sa globalité et sa diversité, à l’image des différents instituts du Pasteur Network, qui ont chacun contribué à la belle histoire pasteurienne, comme les perles d’un même collier.
Anna-Bella Failloux
Responsable de l'unité Arbovirus et insectes vecteurs
Lluis Quintana-Murci
Titulaire de la chaire Génomique humaine et évolution au Collège de France, et responsable de l'unité de Génétique évolutive
C’est la curiosité, l’entraide entre collègues, mais surtout la grande liberté de pensée et d’action dans la recherche. À l’Institut Pasteur je me sens libre, et cela est très précieux.
En France comme à l’international, le bicentenaire de la naissance de Louis Pasteur est une occasion unique de lui rendre hommage et de transmettre son héritage. Découvrez les célébrations et évènements qui émailleront cette année exceptionnelle sur pasteur2022.fr.
Quelques exemples :
7 février 2022
Depuis cette date, La Poste a émis un timbre à l’effigie de Louis Pasteur. Crée par Patrick Dérible d’après une photo proposée par le Musée de l’Institut Pasteur, et gravé par Pierre Bara, le timbre et le souvenir sont désormais en vente.
9 juillet 2022
La 8e étape du Tour de France 2022 partira de Dole, où se trouve la maison natale de Louis Pasteur.
7 décembre 2022, à Paris
Colloque « Grandes épidémies », organisé par l’Institut Pasteur et l’Académie des sciences, ouvert à tous les publics. Il abordera les grandes épidémies ayant touché la population humaine, ainsi que les épidémies animales.
8 décembre 2022, à Paris
Colloque grand public « Pasteur : le visionnaire », organisé par l’Académie des sciences et l’Académie française. Il réunira de grands scientifiques qui revisiteront les points forts de l’œuvre de Pasteur et ses résonances sur la science d’aujourd’hui, de la chimie aux virus en passant par les vaccins.