Pourrions-nous nous douter que les bébés peuvent reconnaitre leur mère avant même de naitre, apprendre la parole grâce aux sons de la voix, ou encore exprimer une curiosité insatiable pour les visages ? Quatre chercheuses et chercheurs ont pris la parole lors de la conférence « A quoi pensent les bébés ? », organisée à l’Institut Pasteur, à l’occasion de la semaine du cerveau 2023. Ils nous en apprennent plus sur les étonnantes capacités de nos cadets.
On s’émerveille toujours de les voir grandir, découvrir le monde jour après jour, chercher à le comprendre. Mais que sait-on, ou croit-on savoir, sur ce que savent les bébés ? Comment et à quoi pensent-ils ? Comment nous perçoivent-ils ? Qu’aimeraient-ils nous dire ? Nous donnerions tant parfois pour savoir ce qu’ils ressentent, quelles sont leurs attentes, comment ils se représentent le monde, comment ils l’explorent et lui donnent du sens.
Table ronde "A quoi pensent les bébés ?", organisée à l'Institut Pasteur, à l'occasion de la Semaine du cerveau 2023. Cette table ronde a réuni des spécialistes reconnus de la pédiatrie, de la pédopsychiatrie, de la psychologie du développement néonatal et de la petite enfance afin de répondre à ces multiples interrogations et offrir un panorama moderne de nos connaissances sur la vie intérieure, et parfois encore secrète, des bébés.
Ce que nous savons des bébés, leurs perceptions et leurs capacités
En près de 30 ans, les travaux de recherche autour des bébés se sont multipliés, modifiant la vision que nous avions de leurs perceptions du monde et de leurs capacités d’apprentissage.
Très vite après leur naissance, les bébés dénombrent de petites quantités d’objets, prennent conscience de leur corps, nous imitent, discernent nos attentes, évaluent et prédisent nos intentions, se montrent empathiques, acquièrent le sentiment de savoir, s’étonnent de l’imprévisibilité des choses, ressentent l’incertitude et s’en servent pour multiplier leurs hypothèses, réviser et consolider leurs connaissances.
Cette précocité cognitive est nourrie par les puissantes ressources attentionnelles dont ils font preuve, par leur incroyable curiosité, leur désir d’apprendre et de comprendre le monde qui les entoure. En parallèle des découvertes de ces aspects fondamentaux et fascinants à partir desquels les nouveau-nés découvrent et construisent leur monde, s’affinent au plan clinique les outils et les diagnostics qui permettent de discerner précocement les obstacles, les retards et les troubles comportementaux qui peuvent s’installer et les moyens de les corriger.
« A quoi pensent les bébés ? » est une question dont les multiples réponses, apportées par les interventions de quatre experts, lors d’une conférence éponyme organisée le 18 mars 2023 à l’Institut Pasteur, se sont avérées surprenantes.
Odeurs et visages : les premières clés de la socialisation
Karine Durand est chercheuse en psychologie du développement à l’Université de Bourgogne. Elle s’intéresse particulièrement au développement cognitif des nourrissons et des bébés âgés de quatre mois, en fonction de leurs expériences olfactives. Dès le stade fœtal, les humains sont capables de sentir les odeurs, en premier lieu les odeurs maternelles. Outre leur effet apaisant, celles-ci ont un rôle à jouer dans la sociabilisation. Des travaux ont en effet montré que les bébés sont plus enclins à observer les visages s’ils sont, par la même occasion, exposés à l’odeur de leurs propres mères. Ceci se produit également avec l’odeur du père, mais dans une moindre mesure, le lien entre le bébé et sa mère se créant de manière plus précoce.
Reconnaître la voix et la langue maternelles
Laurianne Cabrera est chercheuse au Centre Neuroscience Intégrative et Cognition à l’université Paris Cité. Elle est spécialisée dans la neuropsychologie relative au traitement du son et dans l’étude des mécanismes de perception de la parole. Depuis les années 1970, de nouveaux outils et méthodes ont permis de montrer que la zone cérébrale responsable du traitement du son est immature chez les bébés, mais que ceux-ci restent capables de reconnaitre la voix de leur mère. En outre, près de la moitié de la population mondiale apprend deux langues à la naissance : les bébés sont en effet capables de différencier deux langues et de les assimiler séparément.
L’apprentissage musical du langage
Alex de Carvalho est quant à lui enseignant-chercheur en Psychologie du Développement à l’Université Paris Cité. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les bébés n’apprennent pas le sens des mots simplement parce que ceux-ci sont prononcés par les adultes en ciblant d'un geste les objets auxquels ils se rapportent. Les enfants aveugles de naissance ne présentent en effet pas de retard de langage... La clé se situe dans les intonations avec lesquelles sont prononcées les phrases : selon la tonalité avec laquelle un mot est prononcé, le bébé peut déterminer son rôle dans la phrase, et par conséquent sa nature grammaticale. A force d’apprentissage, le bébé devient capable d’exercer cette association dans l’autre sens, et donc de vérifier si une phrase est grammaticalement correcte. Les prémices du développement de la communication orale semblent donc plutôt fondées sur une musicalité de la parole devenue spontanée à l’âge adulte.
Troubles du neurodéveloppement : le rôle des synapses
Thomas Bourgeron est généticien au sein du Département des Neurosciences à l’Institut Pasteur, et spécialiste du trouble du spectre de l’autisme (ou TSA). Ceux-ci se caractérisent par des centres d'intérêts restreints et des anomalies des interactions sociales et de la communication verbale et non verbale, à des degrés différents selon les individus. Sur le plan neurobiologique, on constate que le nombre de neurones varie assez peu entre personnes avec et sans TSA. En revanche, le nombre et la densité des connexions entre ces neurones (aussi appelées synapses) est largement inférieur chez les personnes avec TSA. On estime que les troubles du spectre autistique touchent 1 à 2 % de la population ; parmi ces individus, un sur trois présentent une déficience intellectuelle.
Lire le communiqué de presse : "Autisme : l’Institut Pasteur aux côtés des cliniciens et des personnes concernées"
Décrypter les mystères du cerveau