Les chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS ont identifié deux nouvelles souches du virus HTLV-4 chez deux chasseurs ayant été mordus par des gorilles au Gabon. Ces résultats publiés dans Clinical Infectious Diseases confortent la notion que les gorilles représentent une source importante d’agents infectieux qui peuvent être transmis à l’homme.
De nombreuses épidémies virales qui sévissent actuellement dans le monde sont d’origine animale (Ebola, grippe aviaire, SRAS,…). Suite à un contact initial inter-espèce, certains de ces virus se sont adaptés à leur nouvel hôte humain par des mécanismes évolutifs variés. Les scientifiques de l’unité d'Epidémiologie et physiopathologie des virus oncogènes (Institut Pasteur / CNRS), dirigée par Antoine Gessain, étudient les rétrovirus HTLV, virus à ARN, dont le type 1 provoque dans 2 à 8% des cas un cancer très sévère de type leucémie / lymphome ou une neuromyélopathie.
Quatre types du virus HTLV (1 à 4) existent. Ils ont tous pour réservoir animal des primates non-humains, en particulier les gorilles et les chimpanzés. Ces virus se transmettent par voie sexuelle, transfusion sanguine ou par l’allaitement. Près de vingt millions de personnes dans le monde seraient infectées par le HTLV-1, en particulier au Japon, aux Caraïbes, en Amérique Latine et en Afrique tropicale. Le HTLV-2 est surtout présent dans les populations amérindiennes, certaines populations de Pygmées et chez les toxicomanes aux drogues intraveineuses ; il infecte de l’ordre d’un million de personnes dans le monde. Le virus HTLV-3 a seulement été observé chez quelques personnes au Cameroun, vivant en contact avec des primates non-humains infectés. Quant au HTLV-4, il n’a été identifié jusqu’à présent que chez une seule personne vivant au sud du Cameroun sans qu’on ait pu déterminer l’origine de l’infection.
Le travail des chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS, en collaboration avec le CIRMF (Centre international de recherches médicales de Franceville, Gabon) et le Centre Pasteur du Cameroun, a consisté à rechercher chez des personnes à risque de contact avec des primates non-humains la présence de rétrovirus de type HTLV. Pour cela, dans cette étude, les scientifiques ont procédé au criblage moléculaire d’échantillons sanguins de 300 personnes ayant été mordues par des singes en Afrique centrale, ce qui leur a permis d’identifier le virus HTLV-4 chez deux individus au Gabon, alors que le virus n’avait été détecté jusqu’à maintenant qu’au Cameroun.
Gorille au Gabon. © IRD / Nil Rahola
Ces personnes avaient déclaré avoir été gravement mordues par un gorille au cours d’une chasse, ce qui laisse suggérer une origine zoonotique de la contamination. Le fait que ce virus ait été retrouvé exclusivement chez deux personnes sévèrement mordues par un gorille et non chez les personnes mordues par un chimpanzé ou un petit singe, suggère la transmission du virus par le gorille spécifiquement. De plus, il a été constaté que les morsures sont intervenues des années avant le prélèvement des échantillons sanguins, ce qui révèle la persistance chronique de ce virus chez l’humain.
Par ailleurs, les chercheurs ont découvert qu’une des deux nouvelles souches identifiées diverge de la souche de HTLV-4 déjà connue, ce qui met en lumière la diversité génétique de ce virus humain.
Cette étude renforce l’idée que les gorilles doivent être considérés comme des réservoirs clés pour des agents infectieux qui peuvent être transmis à l’homme. Ces travaux laisse présager qu’il y en a certainement de nombreux autres cas au Cameroun et au Gabon mais aussi dans les pays avoisinants. Reste encore à identifier les éventuelles maladies associées aux rétrovirus de type HTLV 3 et 4.
Source
Zoonotic Transmission of Two New Strains of Human T–Lymphotropic Virus Type 4 in Hunters Bitten by a Gorilla in Central Africa, Clinical Infectious Diseases, 19 juin 2016
Léa Richard (1,2,3), Augustin Mouinga-Ondémé (4), Edouard Betsem (1,2,5), Claudia Filippone (1,2), Eric Nerrienet (6), Mirdad Kazanji (4) and Antoine Gessain (1,2)
(1) Unité d’Epidémiologie et Physiopathologie des Virus Oncogènes, Institut Pasteur,
(2) Centre National de la Recherche Scientifique, UMR 3569
(3) Université Paris Diderot, Cellule Pasteur,10 Paris, France;
(4) Unité de rétrovirologie, Centre International de Recherches Médicales de Franceville, Franceville, Gabon;
(5) Faculty of Medicine and Biomedical Sciences, University of Yaounde I, Yaounde
(6) Centre Pasteur du Cameroun, Yaoundé, Cameroon
Mis à jour le 15/07/2016