La recombinaison homologue constitue une des grandes voies de réparation de l’ADN lors de cassures. Une étude de chercheurs de l’Institut Pasteur et de l’ENS de Lyon montre comment une protéine - la cohésine - réorganise le génome sous la forme de boucles afin de mettre en place ce processus.
Au sein de (presque) toutes nos cellules, 23 paires de chromosomes encodent le fonctionnement de notre organisme, encapsulées dans leur noyau. La stabilité de ce matériel génétique est essentielle pour l’ensemble des processus cellulaire et par extension le maintien en bonne santé de notre organisme. Cependant, des accidents, provoqués par exemple par des radiations ou des erreurs lors de la copie des chromosomes, peuvent provoquer une ou plusieurs cassures des deux brins de l’ADN. Mal réparées, ces cassures peuvent conduire à des réarrangements délétères et pathogènes, conduisant par exemple au cancer. Des chercheurs de l’unité Régulation spatiale des génomes de l’Institut Pasteur, en collaboration avec l’équipe Mécanique du génome de l’ENS de Lyon, travaillent sur la recombinaison homologue, l’une des méthodes de restauration du code génétique en cas d’accidents.
La recombinaison homologue est une voie de réparation très conservée dans le règne vivant qui utilise des séquences du génome semblable à celle affectée, en particulier provenant du chromosome homologue de la paire, en principe identique. Si cette séquence est indisponible, les deux extrémités de la cassure partent à la recherche de régions du génome qui leur ressemblent, afin que des protéines reconstruisent ensuite la partie manquante à partir du chromosome intact et reconnectent les brins. Dans une publication sortie récemment dans Nature Cell Biology, les chercheurs ont étudié la configuration tridimensionnelle des chromosomes lorsqu’une cassure survient. « Comment la présence de cassure affecte-t-elle le repliement des chromosomes ? Et comment ce repliement affecte-t-il la réparation de la cassure ? Ce sont les questions auxquelles nous avons essayé de répondre », développe Hélène Bordelet de l’unité Régulation Spatiale des Génomes, l’une des co-autrices principales de l’étude.
Des boucles d’ADN contraignent la recherche de régions homologues
La chercheuse et ses collègues ont travaillé sur la levure Saccharomyces cerevisiae, chez qui l’on retrouve aussi le processus de recombinaison homologue. Ils ont introduit des cassures dans le génome de ces levures, et par une technique de capture de conformation de chromosomes, ils sont parvenus à en modéliser l’organisation spatiale. Ils ont ainsi induit une cassure sur un chromosome, alors que les cellules s’accumulent en métaphase (une des phases de la division cellulaire). Ils observent alors que les chromosomes se réorganisent de façon à former une alternance de boucles chromatiniennes caractéristiques de ce stade du cycle cellulaire, comme précédemment montré par l’équipe (cf. Importance de la cohésine dans la structure 3D des chromosomes chez les levures). Ces boucles s’assemblent grâce à une protéine annulaire, la cohésine, qui se positionne à la base de chacune des boucles et les maintient ensemble.
Une fois le chromosome ainsi organisé, la réparation peut s’effectuer. Les chercheurs ont alors montré que, au sein de ce contexte très structuré, la cassure de l’ADN se retrouve positionnée à la base de deux boucles, où la cohésine s’accumule. « La recherche d’une région homologue qui prend place se déroule donc de manière contrainte par la formation de boucles, régulées par la cohésine », explique Romain Koszul, qui dirige l’unité Régulation Spatiale des Génomes. La réparation est alors orientée par ces contraintes structurelles vers des séquences situées au sein du même chromosome. Cela limite le risque de translocations entre chromosomes, c’est-à-dire d’échange de portions d’ADN entre des chromosomes différents, ce qui est potentiellement pathogène.
Cette étude permet de mieux comprendre l’un des mécanismes principaux de stabilité du génome. Elle met aussi en lumière des liens de causalité entre organisation spatiale de l’ADN et ses processus de réparation. La publication suggère aussi que la cohésine pourrait intervenir dans d’autres processus de recherche de régions à apparier. Elle ouvre de nouvelles pistes pour mieux comprendre le fonctionnement et les dysfonctionnements du matériel génétique.
Cette étude entre dans le cadre de l’initiative Cancer du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
Source :
Cohesin regulates homology search during recombinational DNA repair, Nature Cell Biology, 16 Novembre 2021
Aurèle Piazza1,2, Hélène Bordelet1,2, Agnès Dumont2, Agnès Thierry1, Jérôme Savocco2, Fabien Girard1 and Romain Koszul1
1 - Unité Régulation Spatiale des Génomes, Institut Pasteur, Paris, France.
2 - Université de Lyon, ENS de Lyon, Université Claude Bernard, Laboratoire de Biologie et Modélisation de la Cellule, Lyon, France.