Escherichia coli est une bactérie très étudiée en biologie. Mais l’analyse de l’organisation de son génome à différentes échelles demeurait encore limité, celui-ci n’ayant pas été étudié par des approches génomique de type capture de conformation chromosomique (3C/Hi-C). Dans une étude publiée dans la revue Cell, des chercheurs de l’Institut Pasteur ont ainsi pu mettre en évidence l’existence de plusieurs niveaux de repliements chromosomiques. Ces repliements sont en lien avec des protéines connues, telles que la condensine et la protéine « histon-like » HU, dont les rôles dans la maintenance de l’architecture de ce génome étaient jusqu’à présent mystérieux.
« Tous les génomes doivent être précisément organisés pour assurer leur bon fonctionnement, comme par exemple pour réguler l’accessibilité à l’information génétique qu’ils contiennent, explique Romain Koszul, responsable de l’unité Régulation spatiale des génomes, à l’Institut Pasteur. Les génomes bactériens, constitués généralement d’un seul chromosome circulaire, n’échappent pas à cette contrainte. » Ce chromosome est organisé en une structure appelée nucléoïde, permettant simultanément la régulation des gènes et la ségrégation des chromosomes dupliqués lors de la réplication. Les résultats de travaux antérieurs menés sur différentes espèces bactériennes, ont montré ou suggéré que la formation du nucléoïde résulte de différents processus :
- le surenroulement de la molécule d’ADN ;
- l’encombrement macromoléculaire ;
- des processus tels que la transcription ;
- la constitution d’une chromatine bactérienne résultant de la liaison de protéines à l’ADN ;
- et enfin la condensation de l’ADN par des protéines de type condensines.
Une approche "omiques" pour exploiter les contacts entre segments d’ADN…
En utilisant différentes approches combinant des méthodes génomiques (capture de conformation de chromosome ou 3C/Hi-C), de génétique et de microscopie à fluorescence, les chercheurs de l’I2BC (CNRS, CEA, université Paris-Sud, université Paris-Saclay), de l’Institut Pasteur, du Collège de France et de l’université Pierre-et-Marie-Curie ont exploré l’impact de plusieurs facteurs contrôlant le repliement et l’organisation multi-échelle du chromosome de la bactérie modèle Escherichia coli. Comment ? En analysant l’organisation des chromosomes de différents mutants d’E. coli par la méthode de 3C, qui permet de quantifier les contacts physiques entre segments le long de molécules d’ADN, et d’en déduire les positions relatives.
Ce faisant, les chercheurs ont pu préciser l’influence de la régulation de la transcription sur la structure locale de l’ADN, ainsi que les rôles des principales protéines associées au nucléoïde sur l’architecture 3D du chromosome. « Nous avons identifié deux modes de communication dans l’ADN chromosomique définissant deux entités structurellement distinctes : la région ter, partie du chromosome où se termine la réplication du génome, et le reste du chromosome », résume le chercheur.
… et pour élucider le rôle de certaines protéines
Le premier mode de communication, homogène sur la majeure partie du chromosome, à l’exception de la région ter, permet le contact entre des sites éloignés sur l’ADN. Ces contacts résultent de l’action combinée de la condensine bactérienne et de la protéine HU. Alors qu’il n’est pas surprenant que l’activité de la condensine favorise les contacts entre sites d’ADN distants, l’implication de protéines ubiquitaires comme HU dans la promotion de telles interactions à longue distance n’avait jamais été décrite auparavant, et ouvre de nouvelles pistes de recherche.
Le second mode de communication est effectif au sein de la région ter où une protéine, MatP, empêche l’activité de la condensine, isolant cette région du reste du génome. « MatP joue ici un rôle de régulateur de la structure en empêchant la formation de contacts entre sites distants dans la région ter », remettant en question un modèle selon lequel cette protéine, au contraire, pontait des régions distances.
Des nouvelles perspectives avec les technologies "omiques"
L’étude révèle une conformation multi-échelle du chromosome impliquant des protéines avec des propriétés différentes et insoupçonnées pour le contrôle de la dynamique des chromosomes. Combinés, les résultats mettent en évidence les propriétés singulières de la région ter chez E. coli et révèlent comment cette espèce a sélectionné des stratégies qui confèrent des propriétés très spécifiques et distinctes à cette région chromosomique, différentes par exemple d’autres bactéries comme Bacillus subtilis.
Bien que fondamentales, ces découvertes sont essentielles à la compréhension du métabolisme du chromosome bactérien. Elles montrent aussi que le(s) rôle(s) de protéines ubiquitaires et très abondantes de type HU, connues depuis longtemps pour interagir avec l’ADN, demeure(nt) encore peu compris mais sont importants dans la structuration du chromosome. Les méthodes génomiques de type 3C, très largement utilisées chez les eucaryotes mais relativement peu chez les bactéries, montrent ici également leur intérêt pour l’étude du fonctionnement du nucléoïde.
Source
Multiscale structuring of the E. coli chromosome by nucleoid-associated and condensin proteins, Cell, 8 février 2018.
Virginia S. Lioy 1*, Axel Cournac 2,3*, Martial Marbouty 2,3, Stéphane Duigou 1, Julien Mozziconacci 4, Olivier Espéli 5, Frédéric Boccard 1#, Romain Koszul 2,3#.
1. Institut de Biologie Intégrative de la Cellule, CEA, CNRS, Université Paris-Sud, Université Paris-Saclay, 91198 Gif-sur-Yvette Cedex, France
2. Institut Pasteur, Département Génomes et Génétique, Groupe Régulation spatiale des génomes, 75015 Paris, France
3. CNRS, UMR 3525, 75015 Paris, France
4. Sorbonne Universités, Laboratoire de Physique Théorique de la Matière Condensée, UMR 7600, Université Pierre et Marie Curie, 75005 Paris, France
5. Centre Interdisciplinaire de Recherche en Biologie, Collège de France, UMR-CNRS 7241, INSERM U1050, Paris, France