Pourquoi les sons ne sont-ils pas perçus sous anesthésie ?

Communiqué de presse
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L’anesthésie a pour but de plonger le cerveau dans un état inconscient dans lequel notamment les sons ne sont pas perçus. Dans cet état, les neurones du cortex auditif sont pourtant encore stimulés par les sons, mais ceux-ci ne sont plus perçus par le cerveau. Des chercheuses et chercheurs de l’Institut Pasteur, du CNRS et de l’Université Paris-Saclay, ont révélé un nouveau mécanisme neuronal accompagnant le passage de l’état de perception consciente à l’état inconscient, sous anesthésie. Une technique d’imagerie optique de pointe, la microscopie multi-photon, a permis de suivre l’activité de près d’un millier de neurones dans le cortex auditif pendant le passage de l’état éveillé à l’état d’anesthésie, chez un modèle murin. Les résultats indiquent que dans l’état d’éveil certains groupes de neurones répondent aux sons, ou d’autres sont spontanément actifs (témoins de l’activité permanente du cerveau). Au contraire, pendant l’anesthésie les groupes de neurones qui répondent aux sons se confondent avec ceux spontanément actifs. Ainsi, dans l’état inconscient produit par l’anesthésie, le cortex cérébral masque les entrées sensorielles par sa propre activité, dite « spontanée ».
Ces résultats, publiés dans la revue
Nature Neuroscience le 28 septembre 2022, ouvrent de nouvelles perspectives pour la modélisation des états de vigilance. 

Si les mécanismes de réception des sons par l’oreille commencent à être très bien compris, ceux de la perception des sons, de leur interprétation et de la prise de conscience de la sensation sonore le sont beaucoup moins. Les neurosciences de l’audition, et de la perception sensorielle en général, butent à cet égard sur de nombreuses questions. L’une d’elle concerne les mécanismes qui différencient la perception consciente - celle que nous pratiquons à l’état d’éveil - du traitement des sons ayant lieu dans le cerveau pendant des états non-conscients tel que le sommeil, ou bien sous anesthésie.

Pourquoi le cortex auditif est-il activé lorsqu’un son arrive à l’oreille d’une personne ou d’un animal anesthésié et cependant, sous anesthésie, il n’y a pas de perception consciente du son chez l’homme ?

Cette question restait insoluble jusqu’alors car les mesures d’activités neuronales disponibles ne renseignaient que sur l’activité d’un neurone ou de petits ensembles de neurones enregistrés isolément au sein des immenses réseaux de neurones qui constituent le cortex. Ces données ne permettaient donc pas d’apprécier l’activité coordonnée de ces réseaux. D’autres ensembles de données récoltés à l’échelle cérébrale permettaient de déduire l’activité moyenne de ces grands réseaux mais sans en connaître les détails. Ainsi, il n’était pas possible d’extraire suffisamment d’informations sur l’activité du cortex pour capturer les différences fondamentales de traitement sensoriel entre l’éveil et l’anesthésie.

Dans cette étude, les équipes de Brice Bathellier (Dynamique du système auditif et perception multisensorielle / Inserm) à l’Institut de l’Audition, centre de l’Institut Pasteur et d’Alain Destexhe (Institut des neurosciences Paris-Saclay / CNRS / Univ. Paris-Saclay) ont utilisé une technique d’enregistrement optique, l’imagerie calcique par microscopie multiphotons, pour suivre l’activité d’ensembles de près d’un millier de neurones dans le cortex auditif entre l’état d’éveil et l’état d’anesthésie chez la souris. Les scientifiques ont ensuite utilisé des méthodes mathématiques pour étudier la disposition des groupes de neurones qui s’activent en réponse à un ensemble de sons variés. Ces observations nouvelles ont permis de découvrir que si dans l’état d’éveil et d’anesthésie les sons activent des neurones, les groupes impliqués changent fortement entre les deux états.

Par ailleurs, le cortex est une structure constamment active, même en l’absence de stimulation. En comparant cette activité dite « spontanée » à l’activité déclenchée par des sons, les chercheurs ont fait une nouvelle observation. Alors que, pendant l’éveil, les groupes de neurones activés par des sons diffèrent des groupes de neurones activés spontanément, pendant l’anesthésie, les groupes de neurones répondant aux sons sont aussi systématiquement activés pendant l’activité spontanée. Ainsi, le cortex auditif répond bien à la stimulation sonore sous anesthésie, mais cette réponse se confond avec sa propre activité interne.

Activité d’un ensemble de neurones du cortex auditif pendant l’état d’éveil et sous anesthésie

Activité d’un ensemble de neurones du cortex auditif pendant l’état d’éveil (point blanc) et sous anesthésie (points verts). Chaque point correspond à une impulsion électrique d’un neurone. L’image des corps cellulaire des neurones est superposé à ce graphique. © Joanna Schwenkgrub, Institut Pasteur; Anton Filipchuk, CNRS - Institut Pasteur

Ces observations suggèrent un mécanisme pour expliquer le paradoxe de la perception auditive et par extension de la perception sensorielle sous anesthésie. « L’activation de neurones du cortex sous anesthésie non seulement diffère fortement dans sa structure de celle observée pendant l’éveil, mais surtout, elle ne peut pratiquement pas être distinguée de l’activité spontanée du cortex. Les réponses neuronales du cortex auditif sous anesthésie sont donc effectivement « silencieuses » pour le reste du cerveau car elle se confondent avec son propre « bruit ». De manière symétrique, ces résultats indiquent qu’une des conditions de la perception consciente est que le cortex puisse activer des groupes de neurones distincts de ceux qui sont activés spontanément. » explique Brice Bathellier, co-principal auteur de l’étude. 

« Dans un sens, le cortex éveillé est plus « créatif » parce qu’il génère de nouveaux motifs d’activité en réponse aux sons, et qui leur sont spécifiques, alors que cette spécificité semble inexistante lors de l’anesthésie. Il reste à voir si les mêmes conclusions s’appliquent aussi à d’autres états comme le sommeil. » note Alain Destexhe, co-principal auteur de l’étude. 

Ces résultats apportent aussi des informations nouvelles sur les mécanismes de la perception consciente des sons ou d’autres signaux sensoriels, et permettent d’envisager de nouveaux modèles de traitements conscients et inconscients de l’information dans les autres régions du cortex cérébral.

En outre des institutions mentionnées précédemment, ce travail a été soutenu par la Fondation pour l’Audition et le projet européen Human Brain Project.


Source

Awake perception is associated with dedicated neuronal assemblies in cerebral cortex, Nature Neuroscience, 28 septembre 2022

Anton Filipchuk1, Joanna Schwenkgrub2, Alain Destexhe1*†, Brice Bathellier1,2,*†
1 Department for Integrative and Computational Neuroscience (ICN), Paris-Saclay Institute of Neuroscience (NeuroPSI), UMR9197 CNRS/Université Paris-Saclay, Campus CEA, 151 Rte de la Rotonde, 91400 Saclay
2 Institut Pasteur, Université de Paris, INSERM, Institut de l’Audition, 63 rue de Charenton, F-75012 Paris, France.
*Corresponding author. Email: brice.bathellier@cnrs.fr, alain.destexhe@cnrs.fr
† These authors contributed equally to this work

https://doi.org/10.1038/s41593-022-01168-5

 

AURÉLIE PERTHUISON
Responsable des relations presse

ANNE BURLET-PARENDEL
Attachée de presse

MYRIAM REBEYROTTE
Attachée de presse

NATHALIE FEUILLET
Chargée des relations presse

 

MARGAUX PUECH PAYS D'ALISSAC

Attachée de presse

 

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