Grippe aviaire : les marchés cambodgiens sous haute surveillance

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Célébré chaque année mi-avril, Bon Chaul Chhnam, le Nouvel An Khmer, est une des fêtes les plus importantes au Cambodge. Pour l’unité de virologie de l’Institut Pasteur du Cambodge, c’est aussi un moment d’intense mobilisation. Appuyé par l’Institut national cambodgien de recherche sur la santé et la production animales, les chercheurs se rendent fréquemment sur les marchés de volailles vivantes. Objectif : surveiller la circulation des virus de grippes aviaires, en particulier les virus hautement pathogènes A(H5N1).

Dans la plupart des pays d’Asie, les volailles sont acheminées vivantes vers les marchés locaux avant d’y être abattues sur place puis vendues aux particuliers ou aux restaurateurs. Ces lieux sont stratégiques pour la circulation des virus aviaires. En 2011, les chercheurs de l’Institut Pasteur du Cambodge décident de mettre en place une surveillance virologiques dans des marchés de Phnom Penh et des provinces de Takeo au sud et Kampong Cham à l’est de la capitale. Ils observent alors une circulation élevée des virus de grippes aviaires durant les période de fête comme le nouvel an Khmer (1). En 2013, une deuxième étude montre une circulation quasi constante de la grippe aviaire dans les marchés et la détection de ces virus culminant la semaine précédant les principales fêtes: le Nouvel An Lunaire ou Nouvel An Chinois (généralement entre début et mi février) et le Nouvel An Khmer (mi-avril). C’est à Phnom Penh que cet effet est le plus marqué reflétant ce qui se passe dans le reste du Cambodge (2). « La demande en poulets et en canards explose durant ces périodes. Il y a un afflux massif de volailles vers les marchés et jusqu’à 80% de ces volailles peuvent être infectées par l’influenza aviaire » explique Philippe Dussart, chef de l’unité de virologie à l’Institut Pasteur du Cambodge.

Marché aux volailles d'Orussey - Institut Pasteur du Cambodge

Orussey, le plus grand marché aux volailles du pays, fait l'objet d'une étroite surveillance. Jusqu’à 80% des volailles peuvent être infectées par l’influenza aviaire. Crédit photo: Institut Pasteur - Dominique Tardy

La surveillance se concentre dès lors sur Orussey, le plus grand marché de volailles vivantes de Phnom Penh (3). Les animaux y arrivent en masse à la fois des provinces du sud proches du Vietnam ainsi que du nord-ouest proche de la Thaïlande. Lieux d’abattage et de vente mais aussi de transit, il favorise la circulation des virus de la grippe aviaire. L’endroit est donc stratégique du point de vue de la santé publique pour détecter immédiatement toute émergence virale et alerter les autorités afin d’éviter la propagation chez les animaux et potentiellement chez l’homme.  « Au niveau virologique, nous avons une circulation exclusive du même variant du virus A(H5N1) depuis mars 2014 date à laquelle remonte le dernier cas humain au Cambodge. Néanmoins nous surveillons d’autres sous-types comme les virus H7 et H9 » poursuit Philippe Dussart. Et pour cause, la Chine a subi depuis 2013, cinq vagues épidémiques successives de virus A(H7N9). La dernière en 2017 a provoqué plus de 1000 cas humains. « Nous nous préparons à ce que ce virus émerge bientôt dans d’autres pays du sud-est asiatique ».

Des GPS pour tracer l’origine des virus de l’influenza aviaire

D’où viennent ces virus et comment se diffusent-ils sur le territoire cambodgien ? Pour répondre à cette question, l’équipe de virologistes en collaboration avec l’unité d’Épidémiologie et santé publique de l’Institut Pasteur du Cambodge décident en 2017 de s’intéresser aux intermédiaires qui transportent les volailles. Leur raisonnement est simple : le virus A(H5N1) étant hautement pathogène pour les volailles, une fois infectées elles meurent en 24 à 72h. Les animaux détectés positifs pour ce virus sur les marchés ont été infectés récemment dans des endroits où ils ont été préalablement regroupés. Il faut donc remonter la filière en amont pour trouver ces « hot spots » d’infection.

Un travail délicat s’engage alors pour identifier des transporteurs et les convaincre d’accepter la pose de GPS sur leurs véhicules. C’est dans la province de Takeo qu’un premier intermédiaire accepte de coopérer en avril 2017. « Nous avons pu analyser ses trajets professionnels au moment du Nouvel An Khmer, la façon dont il approvisionnait ses clients ou les marchés locaux environnant. En parallèle nous procédons à des prélèvements d’échantillons au niveau des marchés et des lieux de regroupement des animaux. En croisant les données spatiales et virologiques nous espérons identifier les sources potentielles de virus et mieux comprendre leur distribution et leur diffusion. Nous pourrons ensuite proposer des stratégies de prévention et de sensibilisation des populations les plus exposées » commente Erik Karlsson, chercheur en charge des programmes de surveillance et de recherche sur les virus respiratoires de l’unité de virologie.

Marché aux volailles d'Orussey - Institut Pasteur du Cambodge

Au Cambodge, le transport des volailles se fait beaucoup à moto. La pose de GPS sur ces véhicule peut aider à mieux comprendre comment le virus de la grippe aviaire circule. Crédit photo: Institut Pasteur du Cambodge - Etienne Chevanne

Aujourd’hui près d’une douzaine de transporteurs participent à ce projet permettant d’élargir le maillage du réseau d’approvisionnement en volaille du pays. « Une campagne de suivi intense alliant l’étude des mouvements des transporteurs de volailles des provinces vers la capitale et l’échantillonnage des volailles à différents points de passages a été effectuée autour du Nouvel An Lunaire en février 2018. L’expérience va être reconduite en avril 2018 autour du Nouvel An Khmer » poursuit Erik Karlsson. Les premiers résultats devraient être disponibles au cours du dernier trimestre 2018.

En parallèle des activités de surveillance aviaire chez les volailles, l’unité mène également une surveillance des infections respiratoires aiguës sévères chez les enfants en étroite collaboration avec les hôpitaux  de la fondation Kantha Bopha de Phnom Penh et de Siem Reap. L’ensemble de ces travaux fait partie du projet ASIDE (Alerting and Surveillance for Infectious Disease Epidemics). Coordonné par l'Institut Pasteur, le projet ASIDE vise à renforcer les capacités en santé publique de 6 pays partenaires du Réseau international des instituts Pasteur d'Afrique sub-saharienne et d'Asie du sud-est (*) afin de mieux prévenir, détecter, signaler et répondre aux urgences sanitaires de portée internationale.


* Centre Pasteur du Cameroun, Institut Pasteur de Bangui, Institut Pasteur du Cambodge, Institut Pasteur de Côte d’Ivoire, Institut Pasteur de Dakar, Institut Pasteur de Madagascar


1.   Horm SV, Sorn S, Allal L, Buchy P. Influenza A(H5N1) virus surveillance at live poultry markets, Cambodia, 2011. Emerg Infect Dis. 2013;19(2):305–8

2.   Horm, S. V., Tarantola, A., Rith, S., Ly, S., Gambaretti, J., Duong, V., … Buchy, P. (2016). Intense circulation of A/H5N1 and other avian influenza viruses in Cambodian live-bird markets with serological evidence of sub-clinical human infections. Emerging Microbes & Infections, 5(7), e70–

3.   Horwood, P. F., Horm, S., Suttie, A., Thet, S., Y, P., Rith, S....Dussart, P. (2018). Co-circulation of Influenza A H5, H7, and H9 Viruses and Co-infected Poultry in Live Bird Markets, Cambodia. Emerging Infectious Diseases, 24(2), 352-355.


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Le projet ASIDE est soutenu par le US Department of Health and Human Services Assistant Secretary for Preparedness and Response

 

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