Une équipe de chercheurs de l’Université de Cambridge, de l’Institut néerlandais du cancer et de l’Institut Pasteur a identifié un complexe protéique qui pourrait expliquer pourquoi certains patients atteints de cancer développent une résistance aux nouveaux médicaments anticancéreux révolutionnaires appelés inhibiteurs de PARP qui leur sont administrés.
Dans une étude publiée dans la revue Nature Cell Biology, l’équipe du Wellcome Trust/Cancer Research UK Gurdon Institute et ses collaborateurs démontrent que le « bouclier » appelé Shieldin protégeant les extrémités de l’ADN cassé régule la réparation de l’ADN et pourrait constituer un marqueur utile à l’identification des patients susceptibles de mal répondre aux inhibiteurs de PARP. « L’amélioration de notre compréhension des réseaux de réparation de l’ADN et de leurs interactions devrait nous permettre de mieux anticiper la réactivité de la tumeur d’un patient à certains traitements », déclare Steve Jackson, dernier auteur de l’étude.
L’ADN de nos cellules peut être endommagé par des facteurs externes, tels que le soleil ou le tabagisme, ou internes, comme notre patrimoine génétique. Il est ainsi possible que deux brins de la double hélice d’ADN se cassent, ce qui peut entraîner la mort cellulaire. Les cellules présentent toutefois divers mécanismes de réparation, le plus simple étant la jonction d’extrémités non homologues (ou NHEJ pour Non-Homologous End-Joining). Ce mécanisme consiste essentiellement à coupler les brins d’ADN cassés, mais il est imparfait et peut provoquer des délétions de segments d’ADN.
La recombinaison homologue (RH) est un mécanisme de réparation plus précis, qui utilise une copie de notre ADN comme informations de référence pour combler les portions de brins manquantes. Il existe, cependant, une rivalité entre NHEJ et RH : si la balance penche du côté de la RH, c’est ce mécanisme qu’utiliseront les cellules pour réparer les dommages de l’ADN.
La BRCA1 est l’une des protéines impliquées dans la RH dont la mutation délétère peut accentuer la sensibilité de certains individus au cancer. En effet, les cellules normales de ces personnes possèdent une « mauvaise » copie du gène BRCA1 tout en en conservant une « bonne », ce qui signifie que la RH est toujours possible chez elles et, donc, que leur ADN peut être réparé. Par contre, leurs cellules cancéreuses ont, elles, perdu la « bonne » copie de BRCA1 et ne sont plus en mesure de réaliser de recombinaison homologue.
Le professeur Steve Jackson et ses confrères du Gurdon Institute avaient exploité ce défaut pour développer des médicaments inhibiteurs de PARP, qui entraînent une cassure double brin de l’ADN réparable uniquement par recombinaison homologue. Les cellules cancéreuses à « mauvais » BRCA1 meurent alors, tandis que les cellules saines environnantes survivent.
Certains patients sous inhibiteurs de PARP développent, toutefois, une résistance à ces médicaments voire n’y répondent jamais. Pour en comprendre la raison, le professeur Steve Jackson et ses confrères ont utilisé des techniques de pointe d’édition génomique basée sur CRISPR-Cas9 pour cribler des cellules cancéreuses du sein porteuses de la mutation BRCA1 et identifier les gènes responsables de la résistance.
Ils ont ainsi identifié deux gènes formant un complexe protéique appelé Shieldin, ce qui leur a permis de démontrer que ce dernier jouait un rôle important dans la NHEJ, en réalisant la jonction sur le site même des brins d’ADN cassés.
Ils ont découvert que l’un des processus physiologiques dans lequel est impliqué le complexe Shieldin se produisait lors du développement et de la maturation des cellules immunitaires. Ils se sont, en fait, rendu compte que Shieldin favorisait la NHEJ au cours de la recombinaison de commutation de classe des immunoglobulines, une réaction biologique permettant la production d’anticorps dans les lymphocytes.

Dr Ludovic Deriano, de l’Institut Pasteur, dont le groupe a étudié le rôle de Shieldin dans les cellules immunitaires
La recombinaison de commutation de classe des anticorps est essentielle à l’obtention d’une réponse immunitaire totalement fonctionnelle contre les agents pathogènes. La participation de Shieldin à ce processus constitue une découverte majeure et une avancée dans notre connaissance du système immunitaire et de ses dysfonctionnements, notamment dans le contexte de l’immunodéficience et des cancers lymphoïdes.
Le professeur Steve Jackson et ses confrères ont levé le voile sur la fonction clé de ce complexe dans les cellules immunitaires et apporté des éléments indiquant son rôle déterminant chez les patients répondant aux inhibiteurs de PARP.
L’équilibrage entre NHEJ et RH devrait empêcher la recombinaison homologue par les cellules des porteurs de la mutation BRCA1 et, donc, se traduire par l’élimination des cellules par les inhibiteurs de PARP. Or, lorsque le bouclier Shieldin n’offre plus de protection suite, par exemple, à des mutations spontanées parmi les cellules tumorales, l’équilibre change, et les cellules tumorales du patient retrouvent leur aptitude à réaliser la recombinaison homologue, les inhibiteurs de PARP perdant alors toute efficacité.
Le professeur Jackson, dont le groupe a mené les recherches, souligne : « Un équilibrage s’effectue dans nos cellules, un véritable bras de fer opposant des protéines comme BRCA1 à Shieldin. Du vainqueur dépend la qualité de la réparation de l’ADN par la cellule, c’est-à-dire sans erreur quoique plus lente ou plus rapide mais source d’erreurs. »
L’auteur principal de l’étude, le Dr Harveer Dev, membre du Wellcome Trust, précise : « Il semble que la persistance du complexe Shieldin au niveau de la cassure de l’ADN rende les cellules porteuses de la mutation BRCA1 sensibles aux inhibiteurs de PARP, expliquant pourquoi ces derniers sont normalement efficaces chez les patients présentant cette mutation. Mais lorsque les niveaux de Shieldin sont bas, les patients peuvent développer une résistance à ces médicaments. »
Pour conforter leurs résultats, les chercheurs ont effectué des biopsies tumorales du sein chez des sujets porteurs de la mutation BRCA1 et ont transplanté les tissus sur des souris. Ils ont découvert que les souris présentant dès le départ de faibles niveaux de Shieldin ne répondaient pas aux inhibiteurs de PARP, et que celles qui développaient une résistance aux médicaments possédaient des tumeurs à faibles niveaux de Shieldin. Ils ont également montré que la résistance aux inhibiteurs de PARP pouvait conduire à l’émergence de vulnérabilités aux traitements anticancéreux alternatifs, tels que la radiothérapie et la chimiothérapie à base de platine, chez ces cellules cancéreuses.
Et le professeur Jackson de conclure : « L’amélioration de notre compréhension des réseaux de réparation de l’ADN et de leurs interactions devrait nous permettre de mieux anticiper la réactivité de la tumeur d’un patient à certains traitements, notamment par inhibiteurs de PARP, et, in fine, de proposer des thérapies anticancéreuses personnalisées qui maximisent les chances de réussite. »
Cette étude a été financée par le Wellcome Trust et Cancer Research UK, et un financement de base du Gurdon Institute a été apporté par Wellcome Trust et Cancer Research UK ; un financement de base de l’Institut Pasteur ; le Conseil européen de la recherche ; et l’Institut national du cancer.
Source
The SHLD1/2 protein complex promotes non-homologous end-joining and counters homologous recombination in BRCA1-deficient cells. Nature Cell Biology, 18 July, 2018
Harveer Dev (1,2), Ting-Wei Will Chiang (1,12), Chloe Lescale (3,12), Inge de Krijger (4,12), Alistair G. Martin (5), Domenic Pilger (1), Julia Coates (1,) Matylda Sczaniecka-Clift (1), Wenming Wei (3), Matthias Ostermaier (6), Mareike Herzog (1,) Jonathan Lam (1), Abigail Shea (5), Mukerrem Demir (1), Qian Wu (7), Fengtang Yang (8), Beiyuan Fu (8), Zhongwu Lai (9,) Gabriel Balmus (1,8), Rimma Belotserkovskaya (1), Violeta Serra (10), Mark J. O’Connor (11), Alejandra Bruna (5), Petra Beli (6), Luca Pellegrini (7), Carlos Caldas, (5), Ludovic Deriano (3,13), Jacqueline J. L. Jacobs (4,13), Yaron Galanty (1,13) and Stephen P. Jackson (1,13)
1- The Wellcome Trust/Cancer Research UK Gurdon Institute and Department of Biochemistry, University of Cambridge, Cambridge, UK.
2- Academic Urology Group, Department of Surgery, Cambridge University Hospitals NHS Foundation Trust, Addenbrooke’s Hospital, Cambridge, UK.
3- Genome Integrity, Immunity and Cancer Unit, Department of Immunology, Department of Genomes and Genetics, Institut Pasteur, Paris, France.
4- Division of Oncogenomics, The Netherlands Cancer Institute, Plesmanlaan , Amsterdam, the Netherlands.
5- Department of Oncology and Cancer Research UK Cambridge Institute, Li Ka Shing Centre, University of Cambridge, Cambridge, UK.
6- Institute of Molecular Biology (IMB), Mainz, Germany.
7- Department of Biochemistry, University of Cambridge, Cambridge, UK.
8- Wellcome Trust Sanger Institute, Hinxton, UK.
9- AstraZeneca, Waltham, MA, USA.
10- Vall d’Hebron Institute of Oncology, Barcelona, Spain.
11- AstraZeneca, Cambridge, UK.
12- These authors contributed equally: Ting-Wei Will Chiang, Chloe Lescale, Inge de Krijger.
13- Corresponding authors
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