Passionnée par la thématique de la transmission des maladies génétiques, Roukaya YAAKOUBI réalise sa thèse à l’Institut Pasteur de Tunis sur les déficits immunitaires primitifs (DIPs), maladies génétiques du système immunitaire. Elle étudie plus particulièrement le syndrome hyper IgE, un déficit immunitaire combiné héréditaire des lymphocytes B et T qui s’exprime, entre autres symptômes cliniques complexes, par une allergie sévère. Un échange entre l’Institut Pasteur de Tunis et l’Institut Pasteur à Paris, effectué dans le cadre du projet ATUN-DIPs, lui a permis de faire un bond en avant dans ses recherches. Elle raconte.

Qu’est-ce qui vous a amené à étudier les déficits immunitaires primitifs ?
Très intéressée par la biologie, mes études universitaires en biologie moléculaire et cellulaire m’ont amenée à mieux comprendre l’interconnexion et le fonctionnement des organismes vivants. En particulier l’immunologie, qui fait référence à l’étude de système immunitaire, représente pour moi la meilleure discipline pour étudier par exemple les réactions entre le corps humain et les pathogènes. Le système immunitaire assure la lutte contre les agents agressifs ou néfastes à notre organisme grâce à ses constituants qui agissent pour limiter cette agression mais contribue également à l’homéostasie de l’organisme et au contrôle de l’émergence de maladies allergiques, auto-immunes ou de cancers. Néanmoins, un défaut touchant un ou plusieurs composants de ce système peut engendrer une défaillance, et c’est à ce moment-là que j’ai découvert les déficits immunitaires.
Durant mon master, j’ai choisi d’étudier les déficits immunitaires pour mon mémoire. J’ai réalisé un stage d’un an au sein du Laboratoire de Transmission, Contôle et Immunobiologie des Infections (LR11IPT02) dirigé par le Pr Mohamed Ridha Barbouche sous la direction du Dr Meriem Ben Ali. Durant ce stage, j’avais pour objectif d’étudier la particularité du syndrome Hyper IgE en Tunisie. A travers cette expérience, j’ai découvert l’importance de la génétique dans l’étude des déficits immunitaires primitifs et acquis de nouvelles compétences en immunologie. Cette combinaison entre mes deux domaines de prédilection (la génétique et l’immunologie) a révélé d’autant plus ma passion pour la recherche.
Sur quoi travaillez-vous au sein du projet ATUN-DIPs ?
Les déficits immunitaires primitifs sont un groupe hétérogène de plus de 450 maladies dans lesquels un défaut génétique du système immunitaire est responsable d’une susceptibilité accrue aux infections pouvant être associées à des allergies, des manifestations auto-immunes et parfois à des cancers.
Depuis 2016, j’effectue mes travaux de recherche sur le syndrome Hyper IgE au sein du laboratoire d’immunologie à l’Institut Pasteur de Tunis, dirigé par Pr Mohamed Ridha Barbouche. Une partie de mes travaux de thèse entre dans le cadre du projet ATUN-DIPs, financé par la DCI de Monaco.
Le syndrome Hyper IgE, qui est le DIP sur lequel je travaille, est un déficit immunitaire combiné héréditaire des lymphocytes B et T. Il est caractérisé par de l’eczéma, des infections cutanées et respiratoires récurrentes, des taux très élevés d’un type d’anticorps dans l’organisme - les immunoglobulines E (IgE), fréquemment associées à des manifestations allergiques. L’objectif de ma thèse est de caractériser les bases génétiques du syndrome hyper IgE en Tunisie et de comprendre pourquoi les patients atteints de cette maladie les produisent à outrance.
Ma thèse est scindée en deux parties :
- Investigation des gènes impliqués dans le syndrome hyper IgE grâce au séquençage d’un panel de gènes. A l’heure actuelle, 9 gènes sont impliqués selon la dernière classification des DIPs.
- Compréhension du mécanisme de surproduction des IgE chez les patients atteints du syndrome Hyper IgE.
Qu’est-ce que vous a apporté votre stage à l’Institut Pasteur à Paris ?
En Tunisie, nous ne disposons pas des mêmes équipements de séquençage haut débit comme ceux de l’Institut Pasteur à Paris.
Pendant 2 ans j’ai été contrainte de séquencer gène par gène selon le profil clinique des patients. C’est ce qu’on appelle la stratégie de « gène candidat » qui prend plus de temps et est plus onéreuse. Or, la meilleure stratégie pour identifier les bases génétiques pour les DIPs, est de séquencer un ensemble de gènes « Panel » en une seule fois ; d’autant que certains DIPs partagent des signes cliniques qui ne sont pas toujours dûs à la mutation des mêmes gènes. C’est ce qu’on appelle le diagnostic différentiel. Employer cette stratégie va donc permettre un meilleur diagnostic définitif.
Cette méthode de séquençage haut débit, est une technologie pas encore disponible à l’Institut Pasteur de Tunis mais l’est actuellement au sein du laboratoire Biomics de l’Institut Pasteur à Paris. Nous avons conçu un panel de 300 gènes avec toute l’équipe qui travaille sur les DIPs à l’Institut Pasteur de Tunis, que nous avons transmis à la plateforme Biomics pour être séquencés.
Avant le déroulement de mon stage à l’Institut Pasteur à Paris, j’ai suivi des formations en ligne sur le séquençage haut débit. Arrivée à Biomics, j’ai pu bénéficier d’une formation théorique supplémentaire sur ce sujet : préparation des échantillons avec mise en étiquette index, normalisation des ADN (même quantité de chaque échantillon,) et finalisation de la construction des librairies, c’est-à-dire l'ensemble des fragments d'ADN qui seront séquencés au moyen du séquenceur Next Generation Sequencing (NGS).A l’Institut Pasteur à Paris, j’ai également suivi d’autres formations de séquençage d’ARN et de métagénome, ainsi que des formations en management qualité qui ont apporté un plus à mon cursus.

Comment allez-vous appliquer vos apprentissages de retour à l’Institut Pasteur de Tunis ?
Justement dans le cadre du projet ATUN-DIPs, un transfert des compétences acquises est prévu. De ce fait, l’expertise que j’ai acquise dans la préparation des banques au sein du laboratoire Biomics de l’Institut Pasteur à Paris, sera transmise in situ à d’autres collègues à l’Institut Pasteur de Tunis. A cet effet, une équipe de Biomics s’est aussi déplacée à Tunis, dans le cadre du projet Européen PhindAccess, pour aider à la mise en place de l’approche NGS au niveau de la plateforme génomique de l’Institut Pasteur de Tunis qui permettra, entre autres, la préparation des banques.
Selon vous, quel sera l’impact de votre stage pour améliorer le diagnostic des déficits immunitaires primitifs en Tunisie ?
Une fois que la préparation des banques sera possible à l’Institut Pasteur de Tunis, nous pourrons alors proposer, aux patients demandeurs, un séquençage du panel qui contient 300 gènes connus pour causer des DIPs. Ceci améliorera grandement le diagnostic et permettra une meilleure prise en charge des patients.