Ebola 2013-2016, ou comment faire face aux nouvelles épidémies…
L’épidémie d’Ebola, qui a frappé l’Afrique de l’Ouest en 2013-2016, a rappelé combien le monde est toujours exposé au risque infectieux. Une coalition internationale de chercheurs, d’acteurs académiques et de professionnels de la santé publique, a soutenu la réaction des autorités sanitaires. Une réaction salutaire et indispensable pour endiguer la flambée apparue par surprise en Afrique de l’Ouest, alors que le virus n’avait sévi jusque-là qu’en Afrique centrale. Avec plus de 11000 décès officiels, cette épidémie a fait 25 fois plus de victimes que les précédents épisodes observés depuis 40 ans. Durant près de trois ans d’épidémie, la recherche a progressé - un vaccin anti-Ebola expérimental serait désormais efficace - mais de nouvelles questions sur la maladie ont aussi été soulevées. Retour sur une épidémie historique.
Décembre 2013. Des premiers cas de fièvre hémorragique apparaissent à Guéckédou, dans le sud-est de la Guinée, en Afrique de l’ouest. Quelques semaines plus tard, le Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé (CCOMS) pour les Arbovirus et les fièvres hémorragiques virales, dirigé par Noël Tordo à l’Institut Pasteur, est prévenu par Médecins sans frontières. Le CCOMS prévient Sylvain Baize, à la tête du Centre national de référence des Fièvres hémorragiques virales de l’Institut Pasteur, à Lyon, et disposant d’un laboratoire P4 (Jean Mérieux - Inserm) seul capable de manipuler les échantillons dangereux en France. Le 21 mars 2014, le CNR confirme que le virus responsable est un filovirus, famille virale comprenant des virus provoquant des fièvres hémorragiques comme le virus Ebola et le virus Marburg. Il s’agit soit de la maladie à virus Ebola, soit de la fièvre hémorragique de Marburg. Le lendemain, la Cellule d’intervention biologique d’urgence (Cibu, dirigée par Jean-Claude Manuguerra) à Paris précise l’identité du pathogène : l’espèce Zaïre du virus Ebola (ZEBOV). La plus mortelle dans cette famille virale. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) est avertie et lance l’alerte le 23 mars. On dénombre alors 29 décès sur 49 cas déclarés.
Première identification du virus Ebola en Guinée
Le Centre national de référence des fièvres hémorragiques virales, rattaché à l’unité de Biologie des infections virales émergentes (Ubive) de l’Institut Pasteur, dirigée par Sylvain Baize a analysé, avec des chercheurs de l’Inserm, les premiers échantillons prélevés en Guinée, et établi les caractéristiques du virus découvert. Les investigations virologiques ont permis d’identifier le Virus Ebola Zaïre (ZEBOV) comme étant l’agent pathogène responsable de cette épidémie. Menés en moins de deux semaines, le séquençage entier du génome et son analyse a montré que le virus présent en Guinée était un variant distinct des souches identifiées par le passé en République démocratique du Congo et au Gabon. Les investigations épidémiologiques ont également fait le lien entre les cas confirmés en laboratoire et les premiers décès recensés dès décembre 2013.
Voir le communiqué de presse L'Inserm et l'Institut Pasteur identifient une nouvelle variante du virus Ebola en Guinée
Une épidémie d’une ampleur jamais vue
Les échanges routiers et aériens propagent rapidement l’épidémie dans le reste de la Guinée, puis au Liberia, en Sierra Leone et, dans une moindre mesure au Nigeria, au Sénégal et au Mali. En septembre 2014, on compte près de 4000 cas d’infection dont 2000 morts. Soit un décès pour deux malades… « Même la chose la plus triviale devient lourde de sens : plus personne ne se serre la main », témoigne le Pr Christian Bréchot, directeur général de l’Institut Pasteur dans une tribune sur medias24.com, suite à sa visite à Macenta, une ville rurale dans la région forestière de Guinée, proche du lieu où a éclaté l’épidémie.
Les symptômes d’Ebola
La maladie à virus Ebola est une maladie virale aiguë sévère.
• Durée d’incubation (temps écoulé entre l’infection et l’apparition des symptômes) : très variable, de 2 à 21 jours.
• Premiers symptômes « pseudo grippaux » : apparition brutale d’une fièvre supérieure à 38°C, faiblesse intense, douleurs musculaires, maux de tête, irritation de la gorge.
• Symptômes plus spécifiques : vomissements, diarrhées, éruptions cutanées, atteinte rénale et hépatique et, dans certains cas, hémorragies internes et externes.
• Diagnostic : uniquement confirmé par des tests en laboratoire ; l’analyse des échantillons est exécutée dans des conditions de confinement extrêmement rigoureuses.
Lire la fiche maladie de l'Institut Pasteur pour en savoir plus
Deux ans plus tard, en juin 2016, lorsque l’OMS annonce la fin officielle de l’épidémie, le bilan est triste : au moins 28000 cas officiellement déclarés, dont plus de 11000 décès. Et ce constat serait en deçà des chiffres réels. « Depuis sa découverte, en 1976, en République démocratique du Congo [ex-Zaïre], jamais le virus Ebola ne s’était répandu comme cela et fait autant de victimes, explique Jean-Claude Manuguerra, virologue en charge de la Cellule d’intervention biologique d’urgence (Cibu), à l’Institut Pasteur (Paris). La précédente épidémie avec le plus grand nombre de cas (425) avait eu lieu en Ouganda en 2000. Elle avait causé le décès de 224 personnes… »
Certes, même si Ebola a tué moins de personnes que d’autres maladies infectieuses, depuis 1976, « son taux de létalité est bien plus élevé, entre 30 et 90% des malades en meurent, poursuit le Dr Maria Van Kerkhove, pilote de l’Outbreak Investigation Task Force du Centre de santé globale (CGH) à l’Institut Pasteur, et consultante pour l’OMS. La dangerosité d’Ebola doit donc nous conduire à une grande vigilance car la seule chose dont on soit sûr, aujourd’hui, c’est qu’une nouvelle épidémie d’Ebola reviendra ! Et, avec l’essor des transports et échanges mondiaux, ce virus n’est pas seulement un danger pour les pays d’origine. »
Examen d'un malade par le Pr. Pierre Sureau de l'Institut Pasteur, durant l'épidémie de fièvre Ebola de 1976, à Kinshasa. © Institut Pasteur
Une mobilisation internationale sur le terrain
Dès l’éclosion de l’épidémie, l’OMS et ses partenaires se sont coordonnés pour riposter rapidement et accompagner les populations touchées en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone. La contribution des partenaires a été vitale, notamment celles des ONG comme Médecins sans frontière (MSF), l'Alliance for International Medical Action (ALIMA), la Croix-Rouge, et de nombreux autres acteurs académiques et professionnels de la santé publique, allemands, américains, britanniques, canadiens, chinois, japonais, russes… Dans cette phase 1 de mobilisation internationale, l’OMS cite plusieurs leviers d’action, dont « l’augmentation du nombre de centres de traitement Ebola et de lits pour les patients, et le recrutement rapide et la formation d’équipes chargées des inhumations sans risque et dans la dignité ».
La mobilisation internationale s’est alors accélérée et « l’Institut Pasteur a pris sa part dans cet effort mondial », souligne Christian Bréchot, directeur général de l’Institut Pasteur. « L’Institut Pasteur de Dakar, mandaté par l’OMS, a déployé le premier laboratoire africain en Guinée, à l’hôpital Donka au cœur de la capitale, Conakry, et analysé des échantillons de cas présumés d’Ebola, souligne Kathleen Victoir, de la Direction internationale de l’Institut Pasteur. Ils y sont restés plus de deux ans. »
« Nous avons installé un laboratoire à Macenta, en Guinée forestière, poursuit Christian Bréchot, mis en place et dirigé par l’unité de Sylvain Baize. » Au total, il y a eu 44 équipes déployées et 37 volontaires envoyés sur le terrain, qui venaient non seulement de l’unité lyonnaise de Sylvain Baize, mais aussi de nombreuses équipes de l’Institut Pasteur à Paris (dont la Cibu, lire l’interview ci-dessous), de BioAster (Institut de recherche technologique spécialisé dans l’innovation en microbiologie), de l’École normale supérieure, des universités…
Bâtiment abritant le laboratoire de diagnostic de haute technologie mis en place par l'Institut Pasteur au Centre de traitement Ebola de Macenta, Guinée forestière, en novembre 2014. © Institut Pasteur
La mise en place de ce laboratoire à Macenta durant une telle durée et avec une telle ampleur fut une première dans l’histoire de l’Institut. Cette riposte a été possible grâce à la mobilisation au niveau local des instituts membres du réseau international, en particulier ceux de l’Afrique de l’Ouest comme l’Institut Pasteur de Dakar, et de la Direction internationale de l’Institut Pasteur à Paris. Cette direction, avec la coordination scientifique de Sylvain Baize, a en effet mobilisé l’ensemble des volontaires de l’Institut Pasteur, en lien étroit avec la Croix-Rouge Française, et avec le soutien financier de l’AFD, du gouvernement français et de la Commission européenne.
Une large mobilisation de la France et de nombreux opérateurs nationaux et internationaux
La France a été l’un des pays qui s’est fortement engagé dans la mobilisation internationale pour lutter contre l’épidémie Ebola, avec une contribution de 158 M€ en 2014-2015 et une large implication de nombreux professionnels de santé et de sécurité. L’Institut Pasteur est intervenu en liaison étroite avec l’Inserm et l’IRD, et plus largement avec l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé à qui était confiée la mise en œuvre du centre de Macenta (50 lits et un laboratoire d’analyse biologique). Les ONG Médecins sans frontière et la Croix-Rouge ont été aussi des partenaires essentiels au plus proche des populations. Enfin, l’action sur le terrain a aussi été conduite avec les opérateurs français d’Expertise France (EF) et de l’Agence française de développement (AFD), en lien avec de nombreux acteurs sanitaires nationaux ou internationaux dont le Haut conseil de la santé publique, l’Institut de veille sanitaire (Santé publique France), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’European Centre for Disease Control (ECDC).
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Pouvez-vous nous rappeler le rôle de la structure que vous dirigez, la Cibu ?
La Cellule d’intervention biologique d’urgence a été créée pour répondre aux urgences biologiques « spécialisées », sous l’impulsion du Ministère de la santé et de l’Institut Pasteur, en 2002. Par « spécialisées », nous entendons des cas d’épidémies, d’accidents (comme des intoxications alimentaires graves, par exemple) ou une utilisation potentielle d’armes d’origine biologique. C’est-à-dire toute situation mettant en péril la santé publique.
Comment la Cibu est-elle intervenue en Afrique, lors de l’épidémie d’Ebola en 2014 ?
Nous nous sommes d’abord rendus en Guinée au début de l’épidémie, dès avril 2014, avec des collègues de l’Institut Pasteur de Dakar, pour une mission de deux semaines. Nous pensions alors que l’épidémie était en train de s’achever, car le nombre de cas diminuait et l’épidémie n’existait qu’en Guinée. Notre confrère Amadou Sall, de l’Institut Pasteur de Dakar, était sollicité par l’OMS et le gouvernement guinéen pour aider les autorités sanitaires à réagir. L’unité de Sylvain Baize a créé un laboratoire en septembre, à Macenta (Guinée forestière), village proche du foyer de l’épidémie. Les collègues de l’Institut Pasteur de Dakar sont restés à l’hôpital de Donka, le principal hôpital de la capitale Conakry, car l’épidémie faisait des ravages en centre urbain. Ensemble, nous avons testé des milliers d'échantillons provenant de Guinée et de pays voisins. Quant à mon équipe, elle a formé des techniciens guinéens au diagnostic du virus Ebola et aux méthodes de prélèvement chez les patients.
Ce volet formation a duré jusqu’en 2016 ?
En effet, l’Institut Pasteur de Dakar et l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire ont formé une quarantaine de personnels soignants (de dix pays d’Afrique de l’Ouest), de juillet 2015 à avril 2016, afin qu’ils puissent réaliser des diagnostics d’Ebola. Dix de ces personnes formées sont venues à Paris, à la Cibu, au cours de l’été 2016, pour être formées à devenir elles-mêmes des formateurs capables de transmettre leur savoir à leur tour.
La Cibu a mis au point un test diagnostic rapide.
En effet, nous avons mis au point un test plus rapide et, surtout, plus robuste pour diagnostiquer la maladie. Nous étions déjà en pointe sur le sujet, avec notre programme sur « la détection des bactériémies chez les enfants de moins de 5 ans, en Afrique sub-saharienne », financé par Médecins sans frontières (MSF) et l’Institut Pasteur. Notre idée consistait à développer un système résistant aux coupures de courant, pas trop cher et facile à utiliser sur le terrain. Les tests de diagnostic habituels (type RT-PCR) sont très chers le processus standard de diagnostic prend en moyenne deux à trois heures. Notre technique dite LAMP (Loop Amplification Mediated Polymerization) est une alternative moins coûteuse, l’appareil est petit, léger et surtout l’analyse prend 15 minutes…
Comment votre présence sur place, en Guinée, a-t-elle permis à vos travaux d’avancer ?
Nous avons pu procéder à un essai clinique, au sein du laboratoire mobile à Macenta. Ce laboratoire jouxtait un centre de traitement des malades, construit par MSF puis géré par la Croix-Rouge française. La proximité avec des patients était indispensable. Nous avons pu utiliser des échantillons de patients préalablement diagnostiqués pour valider et comparer les performances de notre propre test diagnostique. Bien sûr, le traitement de la maladie reste très complexe, mais il est important que le diagnostic soit fait le plus rapidement possible.
D’autres travaux sont-ils en cours aujourd’hui sur Ebola ?
Bien sûr, mais l’intérêt des médias et du public a malheureusement diminué sur cette maladie. Il est parfois difficile de réunir des fonds pour poursuivre les recherches sur de telles maladies quand le risque s’éloigne. Même s’il s’éloigne temporairement… Dans notre équipe, nous travaillons par exemple sur la résistance du virus en dehors de l’hôte, ou encore sur les propriétés immunologiques du virus. Nous travaillons sur un virus proche d’Ebola, le Cueva virus, qui n’affecte pas l’homme et se révèle moins dangereux à manipuler.
NB : A l’Institut Pasteur, plusieurs programmes de recherche sont consacrés à la mise au point de tests de diagnostic rapides, abordables, et facilement utilisables sur le terrain ou par les hôpitaux. Ces projets sont coordonnés par Pierre Lafaye, responsable de la plate-forme Ingénierie des anticorps. En savoir plus
De l’importance d’accompagner les populations
Le virus Ebola se transmet entre êtres humains par contact direct avec le sang ou les liquides biologiques de personnes infectées, ou par contacts indirects d’environnements contaminés par ces liquides. « Par chance, il n’y a pas de risque de transmission pendant la période d’incubation [avant que les personnes infectées ne présentent des symptômes], et peu dans les premières heures qui suivent l’apparition des symptômes (fortes fièvres, saignements voire hémorragies…), souligne Félix Rey, responsable du laboratoire de Virologie structurale de l’Institut Pasteur. La contagiosité est surtout intense lorsque la maladie est installée. Cela permet a priori de mieux contenir l’épidémie. » Toutefois, l’un des premiers enseignements de la récente épidémie est que les personnes guéries peuvent transmettre sexuellement le virus dans les mois qui suivent la guérison (voir plus loin « Ebola : maladie mieux connue, mais toujours sans traitement »). On croyait jusque-là que les patients remis de la maladie n’étaient plus infectieux... Il est donc essentiel de faire de la pédagogie auprès des populations pour éviter les contaminations, à la fois durant l’épidémie et après avoir été malade.
L’OMS a d’ailleurs beaucoup insisté sur le soutien et l’engagement des populations car, lorsqu’elles ne suivent pas les conseils de santé publique, « il est difficile d’identifier les personnes qui sont malades ou leurs contacts, et on fait alors face à une situation où les chaines de transmission peuvent se perpétuer. L’épidémie peut ainsi avoir lieu dans l’ignorance complète des équipes qui sont en charge de ce genre de situation », expliquait dès 2014 Amadou Sall, administrateur général de l’Institut Pasteur de Dakar au Sénégal, dont l’équipe a confirmé le premier cas d’Ebola à Conakry (Guinée).
L’équipe d’Amadou Sall et celle de Simon Cauchemez (unité de Modélisation mathématique des maladies infectieuses, Institut Pasteur à Paris) sont ainsi parvenues à reconstruire les chaînes de transmission du virus Ebola et leur contexte grâce à un travail d’enquête auprès des habitants, menés par des collaborateurs locaux au sein de la capitale guinéenne, de février à août 2014. « Alors que les risques de transmission étaient élevés en mars 2014, lors des rites funéraires ou à l’hôpital, la transmission du virus a chuté dès le mois d’avril, quand des funérailles sécurisées ont été mises en place et qu’un centre de traitement spécifique a été ouvert », détaille Simon Cauchemez, co-auteur de l’étude. Ces données mettent en évidence l’impact positif des mesures de contrôle sur l’évolution de l’épidémie, et soulignent les défis à surmonter pour contenir cette épidémie dans les grands centres urbains.
Des mesures d’hygiène contre la transmission du virus
Pour stopper l’épidémie et la contagion interhumaine, certaines précautions anti-infectieuses doivent être suivies : se laver régulièrement les mains, isoler les malades, éviter tout contact de la peau et des muqueuses avec les liquides infectés (y compris avoir des relations sexuelles protégées dans les mois qui suivent la maladie). Pour cela, des barrières physiques sont indispensables : gants, masques, lunettes, combinaison, bottes, etc.
Lire la fiche maladie Ebola de l'Institut Pasteur pour en savoir plus
Une maladie mieux connue, mais toujours sans traitement
Des progrès dans les connaissances de la maladie ont pu être réalisés par les chercheurs du monde entier au cours et après de l’épidémie 2013-2016. Cet effort de recherche doit être maintenu car l’enjeu reste de mettre au point un vaccin, des traitements et des outils diagnostiques pour le traitement et le dépistage d’Ebola. Voici quelques enseignements de l’épisode épidémique en matière de recherche médicale.
- L’épidémie de 2013-2016 a permis d’observer plus longtemps le virus et la façon dont il se dissémine dans les populations, de par son ampleur (nombre de cas) et sa durée (deux ans et demi). Il a pu être confirmé que la virulence du virus Ebola varie selon l’espèce et la souche du virus. Reste désormais à savoir quels gènes contribuent à la virulence, afin d’en comprendre ses mécanismes et ce qui a contribué à une telle flambée en Afrique de l’Ouest. Rappelons que le virus Ebola a atteint l’Afrique de l’Ouest, région qui était jusqu’alors épargnée par la maladie. Depuis 1976, le virus n’avait été observé qu’en Afrique centrale (notamment en République démocratique du Congo [ex-Zaïre]), d’où le nom ZEBOV parfois donné au virus (Zaïre Ebola Virus).
- Chez les personnes qui survivent à la maladie, ZEBOV peut parfois persister dans des sites immuns privilégiés du corps humain, comme les yeux, le lait maternel ou surtout les testicules. Chez les survivants, une transmission sexuelle est alors possible dans les semaines et les mois qui suivent la guérison. Reste à comprendre comment le virus ZEBOV accède à ces sites particuliers de notre organisme, quels types de cellules soutiennent la réplication virale, quels sont les mécanismes qui expliquent la persistance du virus…
- Le virus Ebola s’est adapté à mieux infecter l’homme lors de l’épidémie de 2014-2016 (voir encadré ci-dessous). Reste à prouver que cette adaptation génétique du virus a contribué à l’ampleur de l’épidémie foudroyante observée. De quoi offrir aux chercheurs un vaste champ d’étude pour comprendre comment ces virus évoluent durant les phases épidémiques, pour mieux anticiper à l’avenir ces problèmes de santé publique.
Certains variants du virus plus aptes à infecter l’homme
Pour en savoir plus
* The University of Nottingham (Grande-Bretagne) ; Institut Pasteur (Paris, France) ; CNRS (France) ; Institut Pasteur de Dakar (Sénégal) ; Public Health Agency of Canada (Canada) ; University of Manitoba (Canada) ; University of Bonn Medical Center (Allemagne) ; The University of Sydney (Australia) ; Université Laval (Canada) ; University of Pennsylvania (Etats-Unis).
- Un traitement préventif a prouvé son efficacité. Ainsi, des candidats vaccins (basés sur des vecteurs recombinants rVSV et rAd) se sont révélés sûrs et immunogènes dans des essais cliniques. Une publication récente (23 décembre 2016) démontre d’ailleurs l’efficacité du vaccin anti-Ebola expérimental rVSV-ZEBOV, dans le cadre d’un essai réalisé en 2015 sur 11841 personnes en Guinée. Cet essai était dirigé par l’OMS, le ministère guinéen de la santé, Médecins sans frontières, l’Institut norvégien de santé publique et d’autres partenaires internationaux. Toutefois, il reste à étudier la durée de l’immunité après la vaccination.
- Des traitements curatifs sont à l’essai. Par ailleurs, des traitements antiviraux, qui inhibent la réplication ou la traduction du virus Ebola ou en limitent la propagation, sont entrés en essais cliniques. Là aussi, les chercheurs se demandent si de nouvelles thérapies seraient nécessaires pour éliminer le virus dans les sites du corps humain où le virus peut persister… Des questions demeurent aussi sur les voies d’administration des médicaments, qui pourraient permettre de mieux cibler le virus Ebola dans les sites immun privilégiés, tels que les yeux ou les testicules justement.
Ebola, Zika… Anticiper les futures pandémies
Une conférence, organisée le 8 novembre dernier par la Société de pathologie exotique, a rassemblé des experts de haut niveau, notamment du CNRS, de l’Inserm, de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), du CHU de Bordeaux, ou encore de l’Institut Pasteur. Les scientifiques ont prévenu : « Face aux risques de résurgence de la maladie, les anciens foyers de l’épidémie en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone pourraient être à nouveau touchés ». Une vigilance accrue et une surveillance sanitaire se révèlent ainsi indispensable.
Face à la gravité de la situation en 2014, l’Institut Pasteur a créé une véritable task force. « Ce groupe de travail a réuni des scientifiques de l’Institut Pasteur et a favorisé des collaborations scientifiques autour du virus Ebola », expliquent Kathleen Victoir, chargée de projets et Félix Rey, responsable du laboratoire de Virologie structurale, tous deux à l’initiative de ce groupe à l’Institut Pasteur. Réunie une nouvelle fois le 10 janvier 2017, la task force a montré que la plupart de ces collaborations portent aujourd’hui leurs fruits, à court terme (séquençage), moyen terme (diagnostic) et plus long terme (recherche fondamentale).
L’Institut Pasteur de Guinée
On voit bien à qu’un travail international coordonné est essentiel pour améliorer les stratégies de réponse aux épidémies. Cependant, même entre deux épidémies, cette mobilisation ne doit pas faiblir ! L’engagement de l’Institut s’est d’ailleurs prolongé avec la création d’un Institut Pasteur à Conakry, décidée dès 2014 en réaction à la crise Ebola, pour lutter durablement contre les épidémies émergentes. La première pierre de l’Institut Pasteur de Guinée, 33e établissement du Réseau international des instituts Pasteur a été posée le 11 novembre 2016. Il est dirigé par Noël Tordo, également à la tête du Centre collaborateur de l’OMS pour les Arbovirus et les fièvres hémorragiques virales.
Noël Tordo, directeur de l’Institut Pasteur de Guinée, et du Centre collaborateur de l’OMS pour les Arbovirus et les fièvres hémorragiques virales. © Institut Pasteur - photo François Gardy
« L’Institut Pasteur de Guinée est une branche de l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry, explique Noël Tordo. Dès le printemps 2017, nous allons pouvoir travailler dans un laboratoire rénové au sein de l’université, dont les travaux se terminent. Quant au futur bâtiment de l’Institut Pasteur de Guinée, il devrait être livré en 2018. Il accueillera le premier laboratoire P3* de Guinée. » Cet institut, 33e et dernier membre du réseau international, a déjà procédé à un état des lieux des laboratoires experts en Guinée : « Nous allons, en collaboration avec l’université, mettre en place des formations de type mastère [thèse pilotée par une école doctorale] afin de renforcer les compétences locales, grâce notamment au laboratoire qui sera prêt dès 2017 et qui permettra aux étudiants de manipuler », poursuit-il.
* P3 : le niveau 3 concerne les agents pathogènes dont la contagion peut se faire par l’air et qui représentent un danger (parfois mortel). Exemples : anthrax, virus du Nil occidental, SRAS, tuberculose, typhus, fièvre jaune…
Au-delà de l’état des lieux et de son activité de formation, l’Institut Pasteur de Guinée a pour ambition de mettre en place une biobanque en Guinée, pour conserver les échantillons à analyser dans des conditions de sécurité optimales. « Nous aurons à cœur d’observer non seulement Ebola mais plus largement d’autres pathogènes zoonotiques qui circulent, notamment dans les réservoirs animaux et sont susceptibles dans certaines conditions d’infecter l’homme. Nous comptons aussi nous intéresser et développer une expertise sur des maladies endémiques plus classiques mais toutes aussi mortelles comme la rage et les maladies vectorielles. »
D’autres recherches sur Ebola à l’Institut Pasteur
- Un vaccin préventif contre le virus Ebola sûr et efficace. Au sein de l’unité Génomique virale et vaccination, Frédéric Tangy développe en collaboration avec l’unité de Sylvain Baize (Biologie des infections virales émergentes) un projet de vaccin préventif contre le virus Ebola.
- Un traitement évolutif accessible au plus grand nombre. L’équipe de Pierre Charneau (unité de Virologie Moléculaire et Vaccinologie) se penche sur la mise au point d’un vaccin thérapeutique anti-Ebola.