L’apparition des différents variants du SARS-CoV-2 a fait émerger une variabilité de profils cliniques et de symptômes chez les patients. Pour la première fois, des chercheuses et chercheurs de l’Institut Pasteur et d’Université Paris Cité ont mis en évidence, dans un modèle animal, une caractéristique commune à plusieurs variants du SARS-CoV-2 : la capacité à infecter le système nerveux central. L’étude confirme par ailleurs que le SARS-CoV-2 est capable d’infecter des neurones humains in vitro, et de se déplacer à l’intérieur des axones, les prolongements de la cellule nerveuse qui conduisent l’information. Ces résultats ont été publiés le 26 juillet 2023 dans la revue Nature Communications.
Les symptômes neurologiques associés à une infection au SARS-Cov-2 ont changé au cours de l’évolution du virus et de l’apparition de nouveaux variants. Si au début de la pandémie de Covid-19, l’anosmie était identifiée comme l’un des symptômes caractéristiques d’une infection, ce même symptôme s’est trouvé moins fréquent avec les infections au variant Omicron/BA.1. La variabilité des symptômes est-elle le signe d’une affinité plus ou moins forte du SARS-CoV-2 pour le système nerveux ?
Dans cette étude, les chercheuses et chercheurs de l’Institut Pasteur et d’Université Paris Cité ont montré chez un modèle animal, qu’un panel de variants d’intérêt du SARS-CoV-2 (la souche originale du virus, détectée pour la première fois à Wuhan et les variants Gamma, Delta et Omicron/BA.1) peuvent accéder au système nerveux central et qu’ils y sont localisés pendant la phase aigüe de l’infection.
Les scientifiques ont ainsi observé que tous ces variants envahissent le système nerveux central et infectent les bulbes olfactifs, une structure située dans la boite crânienne qui traite les informations olfactives et les transmet au cortex. « Dans cette étude, nous montrons que l’infection des bulbes olfactifs est systématique et n’est pas liée à un variant en particulier, ni à une manifestation clinique en particulier, comme la perte d’odorat par exemple. » explique Guilherme Dias de Melo, premier auteur de l’étude et chercheur dans l’unité Lyssavirus, épidémiologie et neuropathologie à l’Institut Pasteur. Les chercheuses et chercheurs ont par ailleurs identifié dans le virus ancestral (Wuhan), une séquence génétique liée à l’anosmie. Lorsque cette séquence génétique, codant pour la protéine ORF7ab, est supprimée ou tronquée comme chez certains variants chez lesquels l’anosmie est moins présente, l'incidence de la perte d'olfaction chez des animaux infectés est réduite sans modifier la neuro-invasion via les bulbes olfactifs. « Cela tend à prouver que l’anosmie et l’infection des neurones sont deux phénomènes décorrélés » indique Guilherme Dias de Melo. « Il est tout à fait possible, si on suit ce raisonnement, qu’une infection même asymptomatique – et donc bénigne cliniquement – soit caractérisée par une diffusion du virus dans le système nerveux. »
Les scientifiques ont ensuite cherché à comprendre de quelle manière le SARS-CoV-2 réussit à parvenir jusqu’aux bulbes olfactifs, les neurones semblant être une voie idéale. Un système de culture cellulaire en microfluidique in vitro leur a permis d’obtenir des neurones humains organisés de manière particulière. Les neurones sont ainsi orientés de façon à pouvoir observer finement le transport des molécules à l’intérieur de l’axone[1].
Grâce à cette méthode, les scientifiques ont constaté qu’une fois à l’intérieur du neurone, le virus est capable de se déplacer dans les deux directions de l’axone [1] : en direction antérograde, c’est-à-dire du corps cellulaire vers les terminaisons de l’axone, ou en direction rétrograde, des axones vers le corps cellulaire. « Le virus semble exploiter efficacement les mécanismes physiologiques du neurone pour se déplacer dans les deux sens. Les variants du SARS-CoV-2 que nous avons étudiés, variant ancestral Wuhan, Gamma, Delta et Omicron/BA.1, infectent les neurones in vitro et sont capables de se déplacer le long des axones ».
« A travers cette étude, nous avons caractérisé le neurotropisme du SARS-CoV-2. Pour tous les variants étudiés, l'infection cérébrale via les bulbes olfactifs semble être une caractéristique commune des SARS-CoV-2 » conclut Hervé Bourhy, dernier auteur de l’étude et responsable de l’unité Lyssavirus, épidémiologie et neuropathologie à l’Institut Pasteur. « La prochaine étape sera de comprendre, chez le modèle animal, si le virus est capable de persister dans le cerveau au-delà de la phase aiguë de l’infection et si la présence du virus peut induire une inflammation persistante et occasionner les symptômes persistants décrits dans les cas de Covid long, comme l’anxiété, la dépression et le brouillard cérébral. »
Ces travaux ont été financés par les organismes cités plus haut, ainsi que la FRM, l’ANRS-MIE et Human Brain Project.
[1] Chaque neurone est muni d’un axone, un prolongement unique et fin de la cellule, qui conduit le signal électrique jusqu’à la cellule suivante (neurone ou muscle).
Source :
Neuroinvasion and anosmia are independent phenomena upon infection with SARS-CoV-2 and its variants, Nature Communications, 26 juillet 2023
Guilherme Dias de Melo1, Victoire Perraud1§, Flavio Alvarez2,3§, Alba Vieites-Prado4§, Seonhee Kim1, Lauriane Kergoat1, Anthony Coleon1, Bettina Salome Trüeb5, Magali Tichit6, Aurèle Piazza7, Agnès Thierry7, David Hardy6, Nicolas Wolff2, Sandie Munier8, Romain Koszul7, Etienne Simon-Lorière9, Volker Thiel10, Marc Lecuit11,12, Pierre-Marie Lledo13, Nicolas Renier4, Florence Larrous1#, Hervé Bourhy1#*
1 Institut Pasteur, Université Paris Cité, Lyssavirus Epidemiology and Neuropathology Unit, F-75015 Paris, France
2 Institut Pasteur, Université Paris Cité, Channel Receptors Unit, F-75015 Paris, France
3 Sorbonne Université, Collège Doctoral, F-75005 Paris, France
4 Institut du Cerveau et de la Moelle Épinière, Laboratoire de Plasticité Structurale, Sorbonne Université, INSERM U1127, CNRS UMR7225, 75013 Paris, France
5 Institute of Virology and Immunology (IVI), Bern, Switzerland; Department of Infectious Diseases and Pathobiology, Vetsuisse Faculty, University of Bern, Bern, Switzerland
6 Institut Pasteur, Université Paris Cité, Histopathology Platform, F-75015 Paris, France
7 Institut Pasteur, Université Paris Cité, Spatial Regulation of Genomes Laboratory, F-75015 Paris, France
8 Institut Pasteur, Université Paris Cité, Molecular Genetics of RNA viruses Unit, F-75015 Paris, France
9 Institut Pasteur, Université Paris Cité, Evolutionary Genomics of RNA Viruses Group, F-75015 Paris, France
10 Multidisciplinary Center for Infectious Diseases, University of Bern, Bern, Switzerland
11 Institut Pasteur, Université Paris Cité, Inserm U1117, Biology of Infection Unit, 75015 Paris, France
12 Necker-Enfants Malades University Hospital, Division of Infectious Diseases and Tropical Medicine, APHP, Institut Imagine, 75006, Paris, France
13 Institut Pasteur, Université Paris Cité, Perception and Memory Unit, F-75015 Paris, France ; CNRS UMR3571, 75015 Paris, France
§ These authors contributed equally
# These authors share senior authorship
* Corresponding author